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naître un peuple honnête et fier, instruit et religieux, élevé par la culture de l’âme au-dessus de sa rude condition, et réunissant la simplicité des mœurs à cette éducation indispensable que la civilisation du siècle n’a pas su généraliser encore. Ainsi, pendant un temps, les genres d’attraits ou de mérites les plus divers ont fait de l’Écosse, il n’y a guère que trente années, la terre chérie de notre pensée.

S’il fallait expliquer cette faveur subite qui s’attachait à un pays lointain, caché dans ses brumes, naguère inconnu, dont parle peu l’histoire, dont l’influence est nulle pour le monde, il n’y aurait qu’un nom à prononcer. Comme si le brouillard fantastique du fabuleux Ossian se fût déchiré, comme si un enchanteur l’eût touchée de sa baguette puissante, l’Écosse réelle avait apparu soudain, et une subite lumière avait fait saillir à la fois tous les traits de sa physionomie, toutes les couleurs de son costume. Bardes et guerriers, lairds et vassaux, matelots et bergers, hôteliers et maraudeurs, hommes d’église et gens de loi, clercs et marchands, tous étaient entrés sur la scène de l’histoire et du roman, quelquefois avec des proportions tragiques, toujours avec le relief et la vérité de la comédie. Walter Scott partage avec quelques hommes plus grands que lui, avec cette tribu de créateurs que guident Homère et Shakspeare, le don merveilleux d’avoir mis au monde une multitude de personnages qui prennent place dans la mémoire sur le même pied que ceux qu’on a vus de ses yeux et touchés de ses mains. Croire sans avoir vu est aussi le prodige qui s’opère en nous quand l’art commande, et nous en venons quelquefois à ne plus pouvoir séparer dans nos souvenirs l’histoire de la fiction.

Les jeunes gens ne se figurent pas quel a été, pendant douze ou quinze années, le prestige de Scott aux yeux de l’Europe entière. Je ne sais si jamais en aussi peu de temps un aussi grand effet littéraire a été produit, sans l’aide d’aucune des circonstances qui, telles que l’opinion ou la passion publique, secondent et hâtent l’empire des écrivains venus à propos. Les lieux, les faits, les hommes, les monumens, les noms, tout en un instant nous devint familier ; il se créa pour nous des souvenirs nouveaux, et le nombre de ces choses qu’on croit avoir connues, et qui servent de points de comparaison avec ce qu’on rencontre, s’accrut soudainement dans notre esprit. La peinture impartiale des affaires humaines, et, parmi les affaires humaines, des plus partiales de toutes, les dissensions civiles, devint un goût de l’imagination, bientôt une règle de l’art, et enfin presqu’un devoir de conscience. Même pour le présent on s’efforça de montrer de l’impartialité, parce que Walter Scott avait tenté d’en témoigner pour le passé ; on tâcha de voir les choses comme il sem-