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l’expérience et des calamités intolérables leur ont appris quelque chose depuis les temps de Casimir, de Mathias Corvin et de Sigismond. Quant à l’isolement des Roumains par la religion, on peut dire qu’il a cessé depuis que les hommes se sont unis étroitement par d’autres côtés que par leur église, car assurément c’est le caractère de notre siècle qu’une foule de choses qui avaient été impossibles aux siècles précédans à cause de l’opposition des églises sont devenues faciles, et se sont réalisées sans peine par un nouvel ordre d’idées que quelques-uns appellent indifférence, et que beaucoup appellent impartialité, tolérance, grandeur d’esprit.

Si j’avais un grain de puissance ou seulement d’ambition dans l’esprit, il me semble donc que je serais tenté de descendre dans cet abîme du peuple roumain et d’y faire rentrer un peu de lumière et d’espoir. J’y serais, je crois, déterminé par les questions et par les raisons suivantes :

1° Les Roumains ont été au XVe et au XVIe siècle un des boulevards de la chrétienté ; ils ont versé abondamment leur sang pour cette cause dans d’innombrables batailles. D’autres ont eu la gloire, l’honneur, le profit ; ils n’ont eu que les désastres. Faut-il que cette iniquité s’éternise ?

2° L’amitié de la Russie a été plus funeste aux Roumains que l’hostilité de tous les autres peuples réunis. Sous le couvert de cette amitié, la Russie a enlevé violemment aux Roumains une moitié de leur territoire et sourdement envahi tout le reste. Ce genre de protection est-il celui qui doit durer ou passer, sans changer, en d’autres mains ?

3° Il y a aujourd’hui dans le monde, en Europe, un effort visible des races humaines pour se reconnaître, se réunir, se concentrer. A mesure que le lien religieux s’affaiblit, celui des races se manifeste. Les premiers, les Slaves ont aspiré ouvertement par le panslavisme à la domination. Après eux, les Allemands, avec une ferveur au moins égale, ne cessent d’attirer à eux tout ce qu’ils peuvent rencontrer d’élémens germaniques disséminés dans l’univers. Quand cette tendance est si marquée, et qu’elle va quelquefois jusqu’à la haine, n’est-il pas sage, n’est-il pas raisonnable pour les peuples latins de se rapprocher à leur tour, et, si l’un d’eux a été éloigné, de lui tendre la main, de le faire rentrer dans l’alliance ? D’ailleurs nous est-il indifférent que le grenier des provinces danubiennes soit entre des mains amies ou ennemies ?

4° Les causes qui s’opposaient au développement, à la durée de l’état roumain se sont modifiées. Ces difficultés peuvent être vaincues ; vaut-il la peine de vaincre ? Ici la question s’élève ; il s’agit de la civilisation.

C’est demander s’il est convenable, s’il est utile qu’une nationa-