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des maximes adoptées par sa raison. Après des travaux fort divers, dans lesquels ni les mathématiques ni l’astronomie n’avaient été négligées, il avait porté ses recherches sur les fondemens de l’ordre moral, et il les avait trouvés dans une disposition de notre nature qu’il appelle la sympathie, et qui nous pousse à nous mettre à la place des hommes pour juger du mérite ou du démérite de leurs actions. Cette théorie, qu’il serait facile de rattacher au principe de la bienveillance de Hutcheson, n’a pas beaucoup plus de valeur scientifique, et ce n’est qu’à la richesse des développemens et à la finesse des observations de détail que le livre où elle est exposée doit le succès qu’il obtint lorsqu’il parut en 1759. Cependant il n’était pas encore publié, que Smith, dont les travaux et les talens inspiraient une estime anticipée, fut appelé par la mort de Hutcheson à monter dans la chaire de logique, puis de philosophie morale, de Glasgow. Quoique peu éloquent, il enseignait avec une telle clarté, une telle abondance de vues spirituelles, qu’il se fit écouter. On suppose que, pressentant déjà la vraie vocation de son génie, il passait rapidement sur la partie spéculative de son cours, et se hâtait d’arriver par l’enseignement du droit naturel aux questions qui intéressent plus directement l’ordre de la société. Ce dont on ne peut douter, c’est que son enseignement ne fût peu propre à rétablir la philosophie sur ses véritables bases, et à mettre en harmonie les sentimens du cœur humain avec des lois d’une éternelle vérité ; mais le fondateur de l’économie politique a d’autres titres de gloire, et déjà, quoique nous n’ayons pas encore rencontré de doctrine morale qui nous donne entière satisfaction, nous avons du moins reconnu pour l’honneur de l’Écosse deux noms mémorables : l’un, celui d’un homme supérieur qui sera longtemps cité parmi le peu de contradicteurs de l’esprit humain qui méritent d’être écoutés ; l’autre, celui d’un écrivain dont le souvenir est destiné à prendre plus d’éclat et d’autorité, à mesure que les gouvernemens s’éclaireront davantage sur les conditions de la prospérité des peuples. Hume et Smith sont de ces esprits auxquels un siècle donne peu de rivaux.

Mais la philosophie de l’un est dangereuse, celle de l’autre est faible, et leur commune influence devait tendre à jeter, les esprits dans le courant d’opinions qui commençait à dominer en France. Un contre-courant ne pouvait manquer de s’établir : la théologie ne pouvait rester muette ; heureusement pour la vérité, la théologie pure, qui dès-lors pour la science et le talent ne brillait pas en Écosse d’un vif éclat, ne fut pas seule à réclamer. Presque tous les professeurs des universités étaient engagés dans les ordres, c’était bien le moins qu’ils prissent la peine de combattre la doctrine de Hume sur les miracles ; mais dans ces limites, la discussion n’eût jamais été bien féconde : la foi chrétienne manque quelquefois d’ar-