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gumens contre le scepticisme, et elle va même jusqu’à le ménager pour que la raison humaine ait un tort de plus. Cependant ces docteurs presbytériens étaient en outre des lettrés et des savans. Ils formaient entre eux des clubs académiques, des sociétés de discussion, débating societies, où ils échangeaient leurs idées, essayaient leurs doctrines, faisaient tour à tour des lectures ou des critiques, se réfutaient même pour s’éclairer, et contribuaient ainsi à la formation d’un esprit général qui pouvait devenir celui d’une école. Nous avons sur ces controverses intérieures des témoignages directs dans la correspondance de l’homme qui allait devenir le fondateur de cette école, sans le savoir et sans y prétendre.


III

En 1752, les membres du collège du roi à Aberdeen élurent professeur de philosophie, à la place du docteur Gregory, que sa vocation ramenait à l’enseignement de la médecine, un des anciens élèves de leur université, le modeste pasteur de New-Machar, qui n’était connu que par un mémoire où quelques idées de Hutcheson sur la possibilité d’évaluer en chiffres le mérite moral des actions humaines étaient examinées. Par l’acceptation de ce nouveau poste, Thomas Reid était obligé d’enseigner les mathématiques, la physique, la logique et la morale. Heureusement ces programmes, qui ressemblaient à ceux de toutes les anciennes universités, commençaient à être moins scrupuleusement observés. On doit croire que Reid ne s’astreignit pas au sien, et profita de la diversité d’études comprises sous le nom de philosophie pour donner plus de liberté et d’à-propos à son enseignement. La direction en était profondément hostile au scepticisme. Dans une société qui, sous le nom de Club des sages, réunissait les hommes les plus éclairés d’Aberdeen, il rencontra Campbell et Beattie, qui devaient l’un et l’autre engager directement la querelle avec Hume, et il soumit à leur examen la première rédaction des idées destinées à remplir ses deux mémorables ouvrages ; mais ce n’est qu’après avoir éprouvé ces idées par douze années d’enseignement qu’il publia ses Recherches sur l’Esprit humain d’après les principes du sens commun.

On sait l’histoire de ce Romain qui dans une déroute, saisissant une enseigne des mains d’un primipilaire, la planta sur la route, et arrêta autour de lui toute une armée qui fuyait. Là fut élevé le temple de Jupiter Stator. Quand une fois les croyances et les principes se sont laissé rompre par le doute, il y a comme une déroute générale dans l’intelligence, et toutes les idées semblent fuir à travers champs. Reid a, pour ainsi parler, fait comme ce Romain ; arrêtant et massant autour de l’étendard du sens commun toutes les