Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre la raison, et de la confondre avec ces palinodies que chante de temps en temps la science humaine dans ses jours de découragement qu’elle appelle des jours de repentir. L’Écosse était chrétienne, mais protestante, et quoiqu’elle eût plutôt dans les dernières agitations de son histoire marqué par un reste de jacobitisme, c’est-à-dire d’absolutisme, la simplicité des mœurs, l’éloignement des cours et des capitales, l’amour du travail et de l’étude, le goût et l’habitude des sciences naturelles y maintenaient en général dans la société lettrée un esprit libéral qui n’était étranger à aucune des nouveautés du siècle. L’indépendance scientifique, qui ne reconnaît aucune autorité que la sagesse, était le caractère du génie écossais. Dans la politique même, où le pays, avec ses simulacres d’élection, n’intervenait, avant la réforme parlementaire, que pour appuyer assez complaisamment le pouvoir, le fond des idées, des intérêts et des mœurs du peuple est libéral, et il serait naturellement de l’opposition, si ses passions se tournaient de ce côté. Ceci est encore plus vrai de ses écrivains ; la plupart, notamment Smith, Reid, Ferguson, Dugald Stewart, sont, en religion comme en politique, des whigs modérés. Des partis qui par tout pays soutiennent la cause de la liberté, ils ont en général les idées sans les passions. Là aussi est, selon moi, un mérite, un attrait de cette littérature de bons esprits, si propre à nourrir l’intelligence dans les habitudes de la vraie philosophie. Dans nos temps ou nos pays de luttes ardentes et d’excessives réactions, la vérité n’inspire jamais seule les meilleurs de ses interprètes, et le ressentiment, ou du moins l’exagération donne à ses défenseurs je ne sais quoi de fébrile et de violent qui inquiète ceux mêmes qu’il gagne comme un mal contagieux. Les défenseurs des préjugés vieillissans, des traditions mourantes ont certes le cœur gonflé de haines, et leur parole, dans ses injurieuses vengeances, n’a rien de persuasif ; mais on ne peut s’empêcher, en se rangeant avec leurs adversaires, de gémir du ton de représailles, des excès de jugement, des rudesses de critique, des emportemens d’agression auxquels ceux-ci s’abandonnent. La force semble ne pouvoir se passer de la violence, l’examen de l’invective, l’enthousiasme de l’hyperbole. Raison, vérité, liberté, tout a quelque chose de révolutionnaire. Il faut sans cesse se veiller dans ses pensées et se combattre soi-même en luttant contre les partis opposés. Le scrupule, la pitié, l’équité inquiètent et bientôt intimident l’amour même de la vérité, qui s’effraie, en devenant une passion, de tomber dans l’aveuglement d’une intolérance implacable.

La philosophie écossaise était par sa nature peu exposée à ce danger. L’appel au sens commun comme juge souverain de toutes les questions scientifiques doit tempérer le zèle de l’innovation, et quand