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Campbell le poète, et de James Abercrombie, qui a été orateur de la chambre des communes, aujourd’hui lord Dunferline. La période illustrée par les romans de Walter Scott et par la série des vingt cinq premières années de la Revue, condamnée alors à l’opposition, serait assurément l’ère d’épanouissement et de fécondité brillante du génie écossais.

Mais la philosophie nous rappelle, et nous revenons à Dugald Stewart, qui était aussi du Club du Vendredi. Par sa conversation remarquable, par la variété de ses connaissances et de ses goûts, il tenait tête à tous ces genres d’esprit. L’homme qui à l’université avait tour à tour remplacé Dalzell pour l’enseignement du grec, Playfair pour les mathématiques, Robison pour la philosophie naturelle, Finlaison pour la logique, et le successeur de Blair pour les belles-lettres, celui qui joignait à son cours de philosophie morale un cours d’économie politique, était comme le patriarche de toute la tribu académique d’Edimbourg.

Dans les premiers temps de la Revue, on remarqua un article important sur la philosophie de Kant, sujet alors si nouveau. C’était l’ouvrage d’un élève de Stewart, Thomas Brown, qui avait débuté par un écrit remarqué contre la Zoonomie de Darwin. Ses goûts l’éloignaient de la médecine, dont il avait fait sa profession ; ses opinions libres et résolues I’éloignaient du parti de l’église. Quoique Stewart apportât beaucoup de mesure dans l’expression des siennes, et que, songeant avant tout à la tranquillité de sa vieillesse, il se fît quelquefois accuser de timidité par Sydney Smith, il n’en jeta pas moins les yeux sur Brown pour le suppléer, lorsqu’en 1808 il cessa de professer. L’enseignement de Brown, que le clergé avait admis avec inquiétude, eut beaucoup d’éclat. En politique comme en philosophie, il se piquait peu de ménagement ; mais il avait un esprit original et pénétrant, une subtilité prompte qui n’hésitait pas, et donnait au moment même les solutions les plus difficiles en paraissant tout simplifier. Il ne se crut pas tenu à une scrupuleuse fidélité envers l’école de Reid ; il rentra sur le terrain défendu du scepticisme, et Stewart, en respectant la liberté de la chaire, ne put cependant contenir l’expression de son mécontentement. Brown resta toutefois professeur tant qu’il le voulut, et il ne cessa d’enseigner qu’en 1818. Il mourut deux ans après. Ses leçons ont été recueillies, et elles mériteraient d’être soumises à l’examen de la critique française. Voici du reste comme en parle Sydney Smith : « Thomas Brown était de mes amis intimes… C’était un poète des lacs, un métaphysicien profond, et un des hommes les plus vertueux qui aient vécu. Comme métaphysicien, Stewart était un conteur de babioles auprès de lui. Brown avait un talent réel pour la chose. »

Après la mort de Brown, qui appartenait au parti libéral assez