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sur-le-champ l’auteur à la tête des interprètes les plus fidèles et les plus pénétrans de la philosophie écossaise. Cette philosophie est très persuasive ; elle se fonde sur l’observation, et elle observe d’une manière si attentive et si consciencieuse qu’il est difficile de lui résister ; mais son analyse n’est pas toujours assez rigoureuse, ni son langage assez exact. Elle ne suit pas toujours avec assez de persistance le fil logique de ses principes, et surtout elle n’entre pas assez avant dans les systèmes qu’elle écarte pour donner à ses sentences d’exclusion une suffisante autorité. Elle ne juge pas la philosophie en pleine connaissance de cause. Dès le premier écrit de sir William Hamilton, il fut évident que ces défauts de son école, et de Reid en particulier, n’étaient pas les siens. Il venait rendre, ou tâcher de rendre à l’une et à l’autre ce qui leur manquait. Certainement aucun philosophe vivant ne sait mieux ce dont il parle.

En réimprimant son article sur ce qu’il nomme la philosophie de l’inconditionnel, il l’a développé, non plus dans le sens critique, mais dans le sens dogmatique, par une dissertation plus importante que l’article même sur le système des conditions du pensable, je traduis littéralement. On comprend que c’est l’examen de cette question : à quelles conditions pouvons-nous penser une chose, ou une chose peut-elle être pensée ? La double condition de toute pensée affirmative ou négative est, selon l’auteur, que la chose n’implique pas contradiction et qu’elle soit relative. La première condition est absolue, elle doit être remplie pour que la chose soit ; la seconde est plutôt relative à nous, elle doit être remplie pour que la chose soit pensée. Et par suite, en indiquant les diverses espèces de relativité, ou plutôt sous combien de rapports une chose peut être connue ou conçue, il est amené à dresser à son tour sa table des catégories. Le point fondamental sur lequel il insiste, c’est que l’esprit humain étant limité, sa pensée l’est aussi, et la limitation devient une condition nécessaire de tout ce qu’il pense. À l’appui de cette doctrine de notre propre limitation intellectuelle, de cette science des bornes de la science, de cette ignorance savante (learned ignorance), comme il l’appelle, il cite une série imposante d’autorités, et s’attache à établir une circonstance qu’il regarde en général comme un des caractères de toute vérité, c’est que l’opinion qu’il soutient a été celle de la totalité ou de la grande majorité des philosophes, quoique tous n’en aient pas toujours avoué tous les termes, ni saisi le véritable sens ainsi que les justes conséquences. Il cherché moins à découvrir qu’à mieux comprendre et à mieux expliquer, car de cette limitation de notre intelligence, il suit que l’illimité étant hors de sa connaissance, la cause infinie, la cause éternelle ne peut être l’objet d’aucune connaissance positive ou proprement dite,