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rament avide de jouissance et impatient. C’était une de ces femmes comme les jaloux en rencontrent souvent, et qui semblent créées tout exprès pour donner à ce travers tout le développement dont il est susceptible, et pour punir le malheureux qui en est atteint.

— Qu’apprendrez-vous, et qui sera l’heureuse personne à laquelle vous destinez vos leçons ? dit en entrant la malicieuse jeune fille, qui avait entendu les menaces de son époux.

Erjeb, un peu honteux, sortit à la hâte, invitant Fatma à le suivre dans une pièce voisine. Quand ils furent seuls : — Méhémed-Bey va venir ici, dit-il à sa femme.

— Méhémed-Bey ! s’écria-t-elle ; lequel ? est-ce l’oncle de votre mère ? ou le fils de votre…

— Non, non, ce n’est personne de la famille. Ne feignez pas de ne point me comprendre ; c’est du chef des Kurdes que je vous parle.

— Ah ! Méhémed le Kurde ? ce beau jeune homme qui est venu…

Et Erjeb remarqua que le visage déjà coloré de Fatma se couvrait de teintes plus foncées qu’à l’ordinaire. — Ce beau jeune homme, dis-tu ! répliqua-t-il avec emportement ; depuis quand une femme mariée doit-elle s’apercevoir de la beauté d’un homme qui n’est pas son mari ? Eh bien ! ce beau jeune homme, je vous défends de le voir, je vous défends de lui parler, de vous mettre seulement sur son passage.

— Je vous obéirai, dit Fatma d’un air soumis.

— Rentrez dans vôtre chambre, reprit Erjeb, et songez que si vous en sortez, ce sera au péril de votre vie. Vous êtes avertie, et vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous-même des conséquences de votre conduite.

Et sans attendre d’autres protestations, il la fit marcher devant lui jusqu’à la chambre qu’ils habitaient, en ouvrit la porte et l’y enferma, emportant la clé dans sa poche.

VII.

Méhémed était retourné auprès d’Habibé, il l’avait informée du résultat de ses démarches. Lorsque la nuit fut close, il la replaça sur ses épaules, et il arriva sans encombre à la petite porte. Hassana y était déjà, et à peine eut-il aperçu le Kurde, qu’il marcha au-devant de lui en disant : — Un hôte est un présent que nous fait Allah ! Entrez dans ma maison, et que ce soit la vôtre aussi longtemps qu’il vous plaira de l’habiter !

Puis, sans remarquer l’étrange fardeau que Méhémed portait sur ses épaules, il fit un geste gracieux, l’engageant à le suivre, entra