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dans des circonstances à peu près semblables. Le calvinisme, arrivé à une époque où la féodalité tombait en dissolution, s’était en beaucoup de lieux rattaché au peuple et à la bourgeoisie. Il avait fondé ou essayé des républiques, il devait donc présenter son gouvernement comme l’expression de ses doctrines, et le principe de l’inspiration individuelle en matière de religion amenait, par une déduction spécieuse, celui de la souveraineté du peuple dans la politique. Il en sortit ensuite le contrat social des philosophes, et lorsqu’enfin La Fayette et ses compagnons, après avoir combattu pour l’indépendance américaine, revinrent avec l’enthousiasme de ces théories, le temps n’était plus loin où elles allaient s’essayer sur la France, et précipiter une réforme nécessaire dans le chaos d’une révolution sanglante. Il y a donc aussi un enseignement direct pour nous-mêmes dans l’histoire des origines américaines. On peut y apprendre qu’en effet ces idées métaphysiques sur les droits absolus de l’homme, inventées par des lettrés pour donner un relief dogmatique à la cause de l’indépendance et pour lui attirer les sympathies du siècle, n’avaient été pour rien dans les motifs réels de l’insurrection ni dans l’organisation antérieure des colonies. Il suffira, pour établir et pour expliquer ce fait, de jeter un regard sur les principaux développemens de quelques-unes d’entre elles, et en voici d’avance le résultat. Soit qu’elles aient été fondées par des compagnies de commerce, ou par de grands propriétaires concessionnaires, ou par des églises transportées avec leurs ministres au-delà de l’Océan, soit qu’elles fussent composées d’abord d’anglicans ; de catholiques ou de calvinistes, de gentilshommes ou de bourgeois, on voit ces colonies aboutir toutes en peu de temps, sous l’influence des nécessités mêmes de la colonisation combinées avec les événemens de la métropole, à des constitutions républicaines ; mais si de fait le peuple y est souverain, ce n’est nulle part en vertu d’une abstraction philosophique, car partout il s’y forme quelque pouvoir non électif qui balance l’influence populaire et joue le rôle de la chambre des lord en Angleterre. Pourtant à quelques-unes on s’efforça d’imposer, soit une théorie religieuse, soit une théorie politique, mais elles se débattaient aussi tôt contre ces formes artificielles, et finissaient par s’en dégager. L’opposition, qui se révèle de bonne heure contre la métropole, et qui doit conduire au bout d’un siècle à en secouer le joug, ne puise point son esprit, ne prend point ses argumens dans le droit naturel, mais dans le vieux droit positif des communes de l’Angleterre. C’est pour les privilèges historiques du citoyen anglais, non pour les droits de l’homme, qu’elle combat avec tant d’opiniâtreté. La république américaine n’est donc pas une création de l’esprit moderne, c’est une suite du long travail européen du moyen âge qui