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protecteur, qui consiste à détourner les courans naturels des échanges, et à élever le prix de toutes choses au profit de quelques-uns, vient détruire leur industrie naissante. La révolution de 1688, favorisée par l’aristocratie du négoce, pratique ce système avec une rigueur croissante. Alors s’engagea entre la métropole et la colonie cette longue et sourde lutte de maître cupide à sujet opprimé, qui ne put éclater que plus tard, mais qui éclata une fois pour toutes par la déclaration d’indépendance. Ainsi s’étaient établies par la force de la situation, des besoins et des événemens, soutenus par des habitudes traditionnelles, des institutions qui pouvaient d’abord paraître contraires aux préférences des fondateurs ; elles s’enracinèrent vite, et il ne fut plus possible de les arracher ; la république y était contenue, et elle en sortit à la fin. Ce furent ces hommes de la Virginie, qui, par leur esprit plus aristocratique et par des vues plus larges d’autorité, devaient apporter à cette république un moyen de cohésion dont l’absence aurait tout rejeté dans le chaos ; ce furent les Virginiens Washington, Madison, Jefferson lui-même, plus démocrate pourtant, qui, par leurs efforts et leur influence, devaient un jour, lorsqu’elle allait se dissoudre après la victoire, la fonder de nouveau en réformant une première constitution vicieuse, en faisant accepter un sénat et un pouvoir judiciaire qui furent le ciment de l’union fédérale.


II

Si maintenant nous passons du midi au nord, si nous examinons, par exemple, le développement intérieur de la colonie de Massachusetts, qui, plus tard, acquit une si grande influence sur toutes les autres, le même enseignement s’offrira à notre attention, mais sous un aspect tout différent. Nous en aurons la contre-partie, mais avec la même conclusion. Si en effet dans la Virginie l’établissement s’est formé en obéissant aux choses et sans trop s’écarter de la tradition anglaise, dans la Nouvelle-Angleterre, au contraire, les hommes ont prétendu commander aux choses, et créer à neuf une société politique de leur façon. Nous avons ici le premier exemple peut-être d’une théorie qui cherche à se constituer en gouvernement, et c’est la théorie religieuse, bien plus puissante que la théorie philosophique. Pour les fondateurs puritains, l’état, c’est l’église ; la loi, c’est le dogme ; le législateur, le juge, le fonctionnaire, c’est le ministre de la religion ou ceux qu’il autorise. Cependant à peine le principe est-il posé, qu’il est démenti par la pratique. De la libre interprétation de l’Écriture sainte, de l’inspiration individuelle, qui est la démocratie religieuse la plus absolue, ils arrivent immédiatement à une théocratie avouée, étroite, rigoureuse, qui exclut, qui chasse,