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qui persécute, qui fonde un ordre privilégié pour gouverner et les opinions et les intérêts de tous. Cette guerre entre le principe et le fait préside pendant cinquante ans à l’histoire de la colonie ; une résistance continue, quelquefois éclatante, mais ordinairement sourde, travaille pendant tout ce temps à secouer le joug, et ce n’est qu’après des transactions forcées et avec le secours du gouvernement royal que la société parvient à se débarrasser de cette étreinte. Alors, dégagée de la théocratie congrégationnelle, elle se trouve à peu près dans les mêmes conditions que la Virginie, avec un fond de république établi sur la triple base de la constitution anglaise, un gouverneur, un conseil et une assemblée représentative.

C’était un spectacle à la fois touchant et bizarre que celui de ces premières émigrations puritaines, qui commencèrent en 1620 par les brownistes ou indépendans, et qui peu à peu se répandirent en fondant des villes sur le vaste territoire qui leur était concédé. Hommes courageux et convaincus, ils cherchaient au-delà des mers un asile pour leur foi, résumée en quelques formules qu’ils ne comprenaient guère ; ils ne trouvaient pas mauvais qu’on les persécutât, résolus qu’ils étaient d’en faire autant dès qu’ils en auraient le pouvoir ; ils allaient vers ces terres inconnues, où les attendaient d’abord des hivers meurtriers, la disette et un labeur acharné, en se fortifiant les uns les autres par des textes symboliques de la Bible, et en écoutant chaque jour, sur le pont du navire, trois longs sermons qui charmaient les ennuis de la traversée. Débarqués, ils se mettaient en présence de Dieu, ils jeûnaient, ils priaient ; un long sermon leur annonçait qu’ils étaient venus, comme le Fils de l’Homme, dans le désert pour y être tentés : image frappante du dédain des choses mondaines, et de leur indomptable résolution de braver Satan et toutes les rigueurs de la vie pour enfanter le royaume de Dieu qu’ils croyaient avoir conçu. Ensuite, par une profession publique, ils satisfaisaient l’église au sujet de la foi et de la justification ; chacun déclarait se sentir en état de grâce, comme il convient aux saints et aux élus de Dieu ; alors chaque frère, dépositaire pour sa part de la puissance du Saint-Esprit, imposait les mains sur ceux qu’ils choisissaient pour ministres de la parole ; enfin, si quelque reste d’anglicanisme se révélait parmi eux, ils chassaient les hétérodoxes et les renvoyaient en Angleterre. Tels furent les premiers commencemens, et déjà ils contiennent en germe toute l’histoire qui doit suivre.

Munie d’une charte royale, la grande émigration pour le Massachusetts arriva dans la baie en 1629. Le siège de la corporation restait en Angleterre ; mais, comme les événemens de cette époque engageaient un grand nombre de familles aisées ou même riches à émigrer, on décida, pour les y encourager, que la corporation se