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en est de la photographie comme de ces instrumens dont les rouages, une fois mis en mouvement, déroulent d’eux-mêmes les notes d’un morceau de musique. Tout vient à point, tout se succède dans l’ordre déterminé par le compositeur, tout est conforme à ce qu’il a écrit : seulement rien ne vient animer cette régularité infaillible. On sent que la main, l’âme plutôt, est absente de ces accords, et dès lors l’espèce de vibration sympathique que nous communiquerait le talent d’un artiste reste à l’état de sensation stérile et de surprise sans émotion.

Le mal ne serait pas grand sans doute, si la photographie ne faisait que s’emparer de ces dessins moitié art, moitié industrie, que la lithographie et la gravure sur bois reproduisent d’ordinaire pour satisfaire à la curiosité du moment. Qu’une caricature, un dessin de modes ou le croquis d’une scène de théâtre soient copiés mécaniquement, aucun intérêt fort grave ne sera lésé pour cela, et l’avantage d’une publication rapide compensera d’ailleurs les défauts de l’exécution. Toutefois ces défauts seront bien autrement apparens, l’inertie du procédé se montrera sans compensation ni excuse sérieuse, lorsque la photographie aura choisi ses modèles dans un ordre plus élevé. Les vignettes de l’Horace publié par M. Didot sont, à notre avis, un témoignage très significatif de l’insuffisance mécanique en pareil cas. N’y a-t-il pas en effet un contraste regrettable, et comme un manque de logique, entre la netteté, on dirait presque l’animation typographique du texte et l’aspect engourdi des photographies qui l’accompagnent ? La faute n’en est pas aux deux artistes auteurs des compositions. MM. Barrias et Bénouville ont fait preuve de talent et de goût en représentant, le premier les scènes chantées par le poète, le second les campagnes qu’Horace a parcourues ou habitées ; mais leur travail a évidemment perdu son allure individuelle, cette finesse de physionomie dont le burin se fût rendu compte et qu’il eût su conserver L’ordonnance générale et les formes matérielles subsistent : l’intention spirituelle a disparu en grande partie, ce qu’on pourrait appeler la vive arête du style s’est émoussé. Tout a pris une expression uniforme, tout est monotone, morne, voilé, et nous trouvons des images presque lugubres là où il fallait nous faire pressentir surtout la grâce, la verve et l’élégance.

Cette apparence de deuil, hors de propos assurément dans les illustrations d’un livre comme celui d’Horace, est au reste un inconvénient essentiel de la photographie, et probablement un défaut invincible. On a eu beau diversifier depuis quelque temps l’emploi des substances colorantes, essayer tantôt des tons gris-noir, tantôt des tons sépia ou roux-ferrugineux : les résultats de ces différens essais