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annule ou dénature l’expression primitive et les intentions pittoresques du maître. Les reproches que méritent ces trois pièces, on pourrait d’ailleurs, et à tout aussi bon droit, les adresser aux autres photographies dont le recueil se compose. Les moins défectueuses d’entre eues sont celles qui reproduisent des estampes presque complètement dépourvues d’effet, des scènes esquissées en quelques traits, comme la grande Chasse aux Lions, où la gravure n’a guère que le caractère d’un croquis sur cuivre. Encore, la comme ailleurs, ne faut-il guère chercher qu’un aperçu de la composition. La fermeté du travail ne subsiste qu’à demi, les contours que l’eau forte a creusés ont perdu quelque chose de leur décision, et semblent glisser sur le papier, qu’ils effleurent à peine. Il n’en devait pas être autrement, il en sera toujours ainsi, en dépit de certains progrès possibles, lorsque la photographie entreprendra de rivaliser avec le burin ou avec la pointe, — l’inégalité de mérite résultant invinciblement de la différence même des procédés. C’est ce que l’auteur du texte, fort instructif d’ailleurs, qui accompagne l’Œuvre photographiée de Rembrandt, — M. Charles Blanc, — a quelque peu oublié de nous dire. En admirant, et certes à bien juste titre, les planches originales, il admire avec moins d’à-propos la perfection du moyen employé pour les reproduire. Il s’empresse un peu trop de bénir ce qu’il appelle « le mariage mystique de l’art et de la science. » Mariage, soit, mais mariage de la main gauche, car l’art, en se mésalliant ainsi, abdique une partie de sa dignité et quelques-uns de ses meilleurs privilèges.

Nous avons cherché à démontrer par des exemples successifs, et, pour ainsi parler, preuves en main, les inconvéniens sérieux et parfois les avantages du procédé photographique. La critique, dans des questions, de ce genre, a d’autant plus le droit de parler sans réticence, qu’elle porte sur des faits complètement indépendans du talent, et qu’une machine qui donne de méchans produits ou des produits insuffisans est infiniment moins digne de ménagemens que l’auteur, même malhabile, d’un tableau, d’un dessin ou d’une gravure. On n’aura donc blessé aucun amour-propre en signalant les côtés faibles ou les côtés tout à fait défectueux de la photographie ; on n’aura exagéré le mérite de personne en indiquant ce qu’elle offre de réellement utile et de parfaitement applicable. Cependant il ne suit pas de la qu’aucune opinion n’ait été contredite, et que nos jugemens s’accommodent avec les préjugés du plus grand nombre. Aux yeux de qui n’y regarde pas de fort près, l’art nouveau paraît en mesure de remplacer un art désormais suranné. À quoi bon pâlir de longues années sur une besogne qui peut maintenant s’accomplir en quelques secondes ? Pourquoi s’obstiner à transporter péniblement