Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être même n’a-t-elle point produit de savantes expositions de principes ni d’éloquentes dissertations, à la manière des œuvres de Turgot, d’Adam Smith, de Malthus, de J.-B. Say, de Rossi : elle s’est appliquée de préférence à l’étude impartiale des faits avec la pensée d’en tirer des enseignemens pratiques, et elle est ainsi parvenue à exercer une influence réelle sur les gouvernemens. L’économie politique n’est plus considérée comme une sorte d’abstraction insaisissable ni rangée au nombre des vagues théories ; on lui accorde son droit de conseil et son tour de parole dans les débats où s’agitent les plus grandes mesures qui affectent les destinées des peuples. N’est-il pas évident pour quiconque examine la situation intérieure des états, dans l’ancien monde comme dans le nouveau, que la discussion des lois économiques tient partout le premier rang ? Ne voyons-nous pas, dans les pays constitutionnels, le sort des cabinets dépendre de l’adoption d’un traité de commerce ou d’un projet de tarif ? Parfois même, notamment en Angleterre, en Autriche, dans les états qui composent le Zollverein, la politique commerciale n’a-t-elle pas été toute la politique ? Ce mouvement d’idées économiques est aujourd’hui si prononcé et il doit au retour de la paix prendre de telles proportions, qu’il ne paraîtra pas inutile de l’examiner dans son ensemble et de rechercher quelles sont, en matière de législation de douane, les tendances des principales nations. À la suite de ce coup d’œil général, l’occasion viendra naturellement d’exposer quels sont, dans la même question, les intérêts particuliers de la France, et dans quel sens il lui importe que ses tarifs soient modifiés.


I

Dès qu’il s’agit de réformes commerciales, c’est l’Angleterre qui se présente naturellement comme point de départ et qui est présentée d’ordinaire comme exemple et comme modèle. Il n’y a pas en effet de pays qui, depuis le commencement de ce siècle, ait opéré dans sa législation économique plus de remaniemens. On a beaucoup écrit sur ces réformes : parmi les économistes contemporains, il en est peu qui n’aient raconté et célébré la grande œuvre à laquelle sir Robert Peel et M. Cobden ont attaché leur nom, et il est même permis de dire que pendant plusieurs années la littérature économique du continent, de même que celle de la Grande-Bretagne, s’est exclusivement occupée de ce fait mémorable. Ce n’était que justice, car, soit qu’on se place au point de vue purement commercial, soit qu’on tienne compte surtout des conséquences politiques et financières, la réforme anglaise est sans contredit l’un des événemens les plus considérables de notre temps.

Il ne faut pas cependant se méprendre sur le sens de la révolution économique qui a été accomplie en Angleterre. Il nous semble qu’en France surtout les historiens de cette révolution se sont trop exclusivement attachés à y trouver la confirmation pure et simple de leurs doctrines, sans tenir compte des circonstances particulières qui pouvaient recommander en Angleterre l’adoption d’un système économique, dont l’application eût été et serait encore ou funeste ou moins favorable dans d’autres pays. Il paraîtrait, suivant ces écrivains, qu’un trait de lumière a éclairé subitement, en 1842,