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— l’aristocratie, qui y trouva le placement fructueux du milliard des émigrés, la bourgeoisie, qui y engagea ses épargnes et son intelligente activité, le peuple, qui en retira de meilleurs salaires. Dès-lors le tarif des douanes, qui, repoussant les produits du dehors, laissait toute sécurité au développement de la production nationale, fut à juste titre considéré comme un instrument de protection, accueilli et prôné comme tel par les nombreux intérêts auxquels il garantissait l’avenir, et en conséquence maintenu par les pouvoirs législatifs.

Dès ce moment, des esprits sages comprenaient que l’on allait trop loin dans les voies prohibitives. S’ils accordaient que le régime protecteur était une sauvegarde pour l’industrie renaissante de notre pays, ils s’attachaient à démontrer qu’il y avait évidemment excès dans la répulsion absolue que les partisans du système manifestaient contre toute importation étrangère. Approuvant et défendant la protection en principe, ils blâmaient et combattaient les prohibitions, de même que les droits prohibitifs. Ces esprits sages et prévoyans n’étaient pas en nombre pour lutter contre le courant. Au sein des chambres législatives, où la propriété territoriale se trouvait largement représentée, la majorité acquise aux mesures les plus restrictives était formidable et véhémente ; la prohibition coulait à pleins bords. Le gouvernement, plus calme, essaya parfois de résister aux passions agricoles et industrielles qui s’agitaient autour de lui : ses efforts furent inutiles, et il dut céder. Nous entendons aujourd’hui les libres échangistes invoquer à tout propos l’exemple de l’Angleterre ; de 1822 à 1830, c’était également la législation anglaise qui était invoquée par les prohibitionistes. Huskisson, il est vrai, avait inauguré l’ère des réformes libérales ; mais on alléguait, non sans raison, que, malgré ces réformes, le tarif anglais demeurait encore pour un grand nombre d’articles plus rigoureux que le nôtre, et l’on ajoutait que, pour imiter l’Angleterre, il fallait commencer par la prohibition, sauf à admettre plus tard certains tempéramens dans le régime commercial. — Telles furent les idées qui inspirèrent les tarifs de la restauration.

La révolution de juillet ne modifia point ces idées. Quelques voix s’élevèrent dans les chambres pour réclamer la liberté du commerce ; elles furent à peine écoutées. Lorsque l’Europe entière était attentive aux débats du parlement anglais et aux réformes de sir Robert Peel, une association pour la liberté des échanges essaya de provoquer en France une sorte d’agitation en faveur du principe nouveau. Elle avait à sa tête des hommes distingués, elle était pleine de zèle, ses séances se multipliaient comme ses brochures : on y prêchait le libre-échange sous toutes les formes ; les apologues spirituels de M. Bastiat succédaient avantageusement aux longs réquisitoires que ses collègues lançaient contre les maîtres de forges ; bref, on dépensa dans cette lutte ou plutôt dans cette tentative de lutte beaucoup de talent et de savoir, mais ce fut en pure perte. La majorité parlementaire demeura décidément protectioniste, et le mouvement que s’étaient donné les novateurs eut pour résultat de donner l’éveil aux industriels, de les tenir en défiance contre toute modification de tarif, et de rendre suspectes les propositions les plus innocentes qui émanaient de l’administration, car il faut bien remarquer que, de 1830 à 1848 comme sous la restauration, le gouvernement fut plus modéré