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Macbeth ? consiste-t-elle dans l’expression générale de cette passion ? Personne n’oserait le dire. Nous sentons tous instinctivement à la lecture que l’âme de l’ambitieux peut ressembler à celle de Macbeth ; mais aucun de nous ne se reconnaîtra dans le portrait : il n’y a entre lui et nous aucune ressemblance. Macbeth n’est donc point un type ; c’est un individu, c’est Macbeth. Telle est l’impression véritable qui nous reste après la lecture. Où donc est le grand intérêt de ce personnage, puisqu’il n’a point de ressemblance sensible avec nous ? Oh ! dans mille circonstances. Macbeth est un chef de clan, un sauvage qui commande à d’autres sauvages : voilà son mode d’existence. Si dès la première scène il se présente à nous comme un personnage poétique, ce n’est pas parce qu’il est homme, c’est parce qu’il est thane de Glaris. Ardent et cruel, il prend la résolution de s’emparer de la couronne. C’est bien un fait d’ambitieux. Comment accomplit-il sa résolution ? Comme un homme, mais aussi comme un chef barbare. D’où vient le degré de terreur poétique qui accompagne cet acte ? De plusieurs circonstances : d’abord il tue Duncan de sa propre main, dans son sommeil, à l’heure des ténèbres, à l’heure « où la chauve-souris et la chouette sont les seuls êtres éveillés, où le loup hurle en attendant sa victime. » En second lieu, ce sauvage, à qui le crime serait naturel en sa qualité de sauvage, a cependant reçu le baptême, et une faible aurore de christianisme a brillé sur ses bruyères stériles : — cela suffit pour faire hésiter sa main, quoiqu’il se vante de faire bon marché de la vie future. Un des phénomènes naturels qui accompagnent l’ambition, ce sont les avertissemens, les tressaillemens, les remords de la conscience : ils se retrouvent dans Macbeth ; mais comment ? De hideuses apparitions viennent à sa rencontre et jettent dans son âme la pensée du mal. Des agens surnaturels et extérieurs le sollicitent, comblent ses désirs et le perdent. Où est la poésie dans tout cela ? Est-ce dans le fait psychologique du remords, ou dans la forme que prend ce fait ? On voit quelle combinaison de circonstances se réunissent pour former la poésie de Macbeth. Un seul mot peut résumer le tout : Macbeth n’est pas poétique parce qu’il est le type d’une âme ambitieuse ; il est poétique parce qu’il est Macbeth, c’est-à-dire chef de clan, barbare baptisé, mari d’une femme encore plus cruelle que lui, croyant aux sorcières, salué roi par elles, perdu par elles et vaincu le jour où la forêt de Birman marcha contre la montagne de Dunsinane.

Nous avons pris un caractère, prenons maintenant une idée abstraite. Une des croyances qui ont toujours été chères à l’homme est celle de la fatalité. Cette idée fait le fond de toute la littérature antique, et elle apparaît avec toute sa majesté terrible dans la tragédie d’Œdipe-roi. Les musulmans ont été les plus fervens secta-