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pliqué, très ondoyant et très divers, comme disait Montaigne. C’est si bien un individu, — le prince Hamlet, — qu’on peut donner sur sa personne les renseignemens les plus précis et les plus exacts : Goethe l’a fait en partie. Hamlet porte le deuil de son père ; il est à peine sorti de l’adolescence. Au moment où commence l’action, il a de vingt-quatre à vingt-six ans. Il a étudié à Wittenberg. Son amusement favori est l’escrime ; mais il ne peut s’y livrer peut-être autant qu’il le voudrait, car il est un peu gras et s’essouffle facilement. Il est blond comme un enfant du Nord ; son visage, jeune, cela va sans dire, est cependant prématurément fatigué, noble plutôt que beau. Ses manières sont froides, franches et discrètes, souvent aussi pleines de laisser-aller et de sans-façon. Pareil contraste dans son costume, qui est à la fois noblement sévère et négligé. Dans ses relations avec ses semblables, son caractère est un mélange de hauteur et de bonhomie, de candeur et de défiance. Il craint toujours d’être dupe ; de là une certaine duplicité toute superficielle qu’il donne pour masque à sa franchise. Il est ordinairement muet, mais devant le monde et par contrainte, car il est plein d’effusions, et il aime à s’épancher. Quand il parle, il parle beaucoup et longtemps, comme un homme à qui l’on n’a jamais coupé la parole, et que son rang place au-dessus de la contradiction. Parler est même son faible, et quoiqu’il soit exempt de vanité, il n’est pas sûr qu’il n’ait pas aimé le dilettantisme de la parole et le brillant déploiement de ses belles facultés. Dans ses relations avec lui-même, il est singulièrement irrésolu à force de scrupules, scrupuleux à force d’honnêteté. L’habitude de l’analyse à outrance et de l’observation intime, en éclairant les abîmes de sa conscience, paralyse les forces de sa volonté. Cette méditation trop continue dérange l’équilibre de ses facultés, et le fait incliner vers un certain scepticisme élevé et découragé qui le rend incapable de choses que le plus vulgaire des hommes mènerait à bonne fin. Son âme est celle d’un vrai prince ; il en a la condition essentielle, qui est d’être à son aise partout, et de savoir causer avec des soldats dans leurs casernes ou de vulgaires fossoyeurs dans un cimetière, comme avec des courtisans dans son palais.

On a fortement calomnié Hamlet. Son caractère irrésolu, son langage mélancolique, l’ont fait accuser de manquer d’énergie : c’est une erreur. Hamlet est un des caractères les plus mâles qu’il soit possible d’imaginer ; sa bravoure est à toute épreuve, sa loyauté ne se dément pas un instant, ses promesses sont sûres ; toutes les qualités de l’homme viril, il les possède. Il a le courage de suivre le fantôme sans hésiter un seul instant, et avec un tel sang-froid et un calme si parfait de jugement malgré le trouble inséparable d’une pareille aventure, qu’il commande presque à l’ombre : « Parle maintenant, je ne te suivrai pas plus loin ! » Je tiens surtout à faire remarquer