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ce long retard sur le compte des prétentions excessives de Mlle  du Rosier ; gâtée comme elle l’était par sa position, elle demandait certainement un prince des contes de fée, et il ne s’en trouvait pas dans le département. Un notaire à cheveux blancs qui connaissait la famille de vieille date souriait bien quelquefois d’un air malin quand on parlait devant lui des richesses de M. du Rosier ; mais comme c’était bien l’homme le plus caustique et le plus méchant de Moulins, on ne s’arrêtait pas à ses ricanemens.

Il est certain que Mlle  du Rosier ne faisait rien pour attirer les galans, et qu’elle ne paraissait pas pressée de se marier. Elle avait dans le caractère un mélange extraordinaire de bonté et de hauteur qui était un sujet perpétuel d’étonnement pour les oisifs de la ville. Un poète du pays, qui l’avait vue à l’une des réceptions du préfet, la comparait à Junon marchant sur les nuées. L’expression habituelle de son visage était une dignité froide, relevée à certains momens par un air d’intelligence et de fierté qui brillait par éclairs avec un tel feu, qu’on en était ébloui. Elle avait des façons qui dataient d’un autre temps. Un jour qu’une pauvresse, à qui elle avait donné une pièce d’or par erreur, courait après elle pour la lui rendre, Mlle  du Rosier vida sa bourse entre ses mains. Il y avait dix louis dans cette bourse. On en parla trois jours dans Moulins. Un bel esprit de l’endroit dit à ce propos que certainement la Providence s’était trompée, et que Mlle  du Rosier était née duchesse.

À cette époque-là, on voyait Mlle  du Rosier dans toutes les maisons où quelque bal réunissait la meilleure société de la ville. Elle s’y montrait toujours la mieux parée et la plus belle. Son père, qui ne lui refusait rien, faisait venir ses toilettes de Paris ; on le blâmait un peu de cette condescendance ; mais les femmes qui criaient le plus contre cette extrême recherche étaient précisément celles qui auraient désiré que leurs maris imitassent en tout point ce père complaisant.

M. du Rosier avait alors cinquante-cinq ans. C’était un homme d’une humeur joviale, et certainement le plus aimable et le plus facile à vivre qui fût dans le ressort de la préfecture. Replet et dodu, et, comme on dit, tout rond en affaires, son caractère n’avait pas plus d’angles et d’aspérités qu’on n’en voyait sur sa bonne grosse taille et sa figure haute en couleur. On ne pouvait pas l’accuser d’ambition ; jamais on n’avait pu, malgré les plus vives instances, lui faire accepter aucunes fonctions, pas même celles d’adjoint au maire ou de membre du conseil général. Il n’était bon, disait-il, qu’à vivre à sa guise. Depuis qu’il avait quitté les affaires, il partageait son temps entre Paris et Moulins, un jour ici, un jour là-bas. Ce n’est pas qu’il fît comme certaines personnes, qui passent six