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mois d’un côté et six mois de l’autre. Les voyages de M. du Rosier étaient en quelque sorte improvisés. Il partait subitement et revenait de même. Ses absences duraient tantôt six semaines, et tantôt trois jours. Mlle du Rosier ne l’accompagnait jamais. Personne ne savait pourquoi il allait si fréquemment à Paris. Ceux qui l’y rencontraient ne s’en doutaient pas davantage ; il y voyait peu de monde, et refusait obstinément les invitations, si ce n’est dans les maisons où l’on dînait bien. On remarquait que depuis trois ou quatre ans ces voyages étaient plus nombreux ; mais il ne revenait jamais de Paris sans rapporter quelque bagatelle de prix à sa fille. Rien d’ailleurs ne paraissait changé dans ses habitudes. Dès son retour, il traitait la ville, et l’hôtel ne désemplissait plus. Tout ce qu’on pouvait lui reprocher, c’était d’être fort gourmand et très prompt à la dépense.

Un jour qu’on vantait au cercle où se réunissaient les notables de la ville le bonheur de Mlle du Rosier d’avoir un père aussi plein de bonhomie et de bienveillance envers tout le monde, le notaire haussa les épaules avec une mauvaise humeur si visible, qu’on le pressa de questions. Poussé à bout, il saisit brusquement une boule d’ivoire qui courait sur le billard :

— Cette bille est ronde et polie, s’écria-t-il ; elle est cependant sèche et dure comme la pierre !

Et il la rejeta sur le tapis.

Le mot fit d’abord sensation ; mais un quart d’heure après on n’y pensa plus ; il venait du notaire, et M. Deschapelles aurait trouvé une tache dans un flocon de neige.

Au moment où commence ce récit, l’hôtel de la rue de la Cigogne à Moulins était habité par quatre personnes, M. du Rosier, Alexandrine, une sœur cadette du nom de Louise, et Mme de Fougerolles. Cette dernière était une sœur aînée de Mme du Rosier la mère, morte en couches de Louise. Elle était baronne du chef de son mari, d’une bonne noblesse du Nivernais, et de son vivant gentilhomme ordinaire de la chambre du roi sous Charles X. Veuve à trente-cinq ans et âgée alors de cinquante-six à cinquante-sept ans, Mme de Fougerolles était une grande personne, sèche, maigre et couperosée, qui ne manquait pas d’une certaine distinction. Elle avait d’excellentes manières et le parler fort doux, excepté lorsqu’un sentiment de colère l’animait. Alors elle perdait toute mesure et s’oubliait dans des emportemens où l’on voyait toute la violence de son caractère et la fougue d’un sang dont rien n’avait pu tempérer l’âcreté. Ceux qui la connaissaient bien lui reprochaient une excessive parcimonie, bien qu’à la mort de son mari elle se fût trouvée à la tête d’une immense fortune, et une extrême vanité, à l’aide de laquelle la baronne pou-