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encline au dédain, aimait-elle cette organisation un peu commune et cet esprit vulgaire ? C’est ce qu’il est impossible d’expliquer. Cela était. Évariste le voyait bien, mais il fermait les yeux pour ne pas le voir.

Un soir qu’il y avait grand bal à la préfecture, M. de Mauvezin profita du tête à tête que lui ménageait une valse pour faire l’aveu de ses sentimens à Mlle  du Rosier. Alexandrine était ce soir-là plus brillante que jamais. Une couturière de Paris lui avait envoyé ce qu’il y avait de plus frais et de plus coquet en fait de modes nouvelles, et l’admiration où cette merveilleuse toilette le jeta fut pour Anatole un prétexte de donner un libre cours à la passion dont il se sentait dévoré, disait-il, depuis qu’il avait eu l’honneur d’être présenté à Mlle  du Rosier.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, ajouta-t-il en forme de péroraison, je n’ai pu résister à l’ardeur du sentiment qui m’entraîne… Heureux celui qui vous appartiendra !

Tout ce beau discours ne sentait pas l’improvisation, et Mlle  du Rosier ne s’y serait pas trompé, si elle avait eu la libre disposition d’elle-même ; mais son cœur plaidait pour Anatole, et elle n’entendit que ce qu’elle voulait entendre. Elle regarda M. de Mauvezin d’un œil où le courroux ne se montrait pas, et en la reconduisant à sa place, le beau valseur put croire que la rebelle était enfin soumise.

La beauté d’Alexandrine fut ce soir-là sans rivale. Elle resplendissait ; le pli de ces lèvres un peu hautaines s’était adouci, et l’expression de son visage, auquel on pouvait reprocher une certaine froideur altière, avait une animation et une grâce nouvelles.

— Qu’avez-vous ? lui demanda Évariste, qui l’admirait.

— Rien, répondit-elle, je suis heureuse.

Mais de retour chez elle, Mlle  du Rosier ne put s’empêcher de courir dans la chambre de sa sœur, qui dormait, et de l’embrasser avec passion.

Cette sœur était de plusieurs années plus jeune qu’Alexandrine. Elle avait été élevée au couvent, et on la voyait fort peu dans le monde. D’un caractère doux et timide, elle aimait la retraite et tenait pour ses meilleurs jours ceux qu’elle passait au milieu de ses jeunes compagnes, entre les paisibles murailles qui avaient abrité son enfance. Elle y courait pour le moindre prétexte, et y demeurait volontiers jusqu’à ce que sa sœur l’envoyât chercher. Louise était d’une santé délicate ; on avait craint quelque temps pour sa poitrine : on aurait dit que sa mère, en la quittant, n’avait pu se détacher d’elle, et qu’elle était prête à la rappeler. Les inquiétudes, les soins, les ménagemens qui avaient entouré ses premiers pas dans la vie, avaient disposé son esprit à une sorte de mélancolie rêveuse où