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pas. Ce long silence étonnait Mlle du Rosier, qui n’y trouvait pas d’explication naturelle. Après que la semaine se fut écoulée, son anxiété devint extrême. Le dimanche suivant, à l’issue de la grand’messe, où elle se trouvait avec sa sœur et Mme de Fougerolles, M. de Mauvezin la salua. Mlle du Rosier comprit qu’il cherchait à l’aborder ; elle ralentit sa marche, très émue, et profitant d’un groupe qui la séparait de sa compagnie, Anatole s’approcha d’elle.

— J’ai parlé, lui dit-il très bas et très vite.

— Eh bien ? fit-elle en levant les yeux.

— Rien… il veut voir, il veut réfléchir… et en attendant je suis au désespoir… je me meurs.

Mlle du Rosier aperçut la grande figure sèche de Mme de Fougerolles qui se retournait ; elle pressa le pas, mais le coup d’œil qu’elle jeta sur M. de Mauvezin lui fit bien voir que sa cause n’était pas encore perdue. Quant à ce désespoir dont il avait parlé avec un si vif élan, il ne l’avait ni maigri, ni pâli ; mais ce sont de ces exagérations qui ne déplaisent pas à certaines femmes.

Il répugnait à l’excessive fierté de Mlle du Rosier de parler la première. N’était-ce pas avouer hautement l’amour qu’elle ressentait pour M. de Mauvezin, sans savoir si son père l’approuvait ? Elle se décida cependant à le faire, et comme elle était d’un caractère résolu, elle saisit un instant où il était seul dans son cabinet pour l’aborder.

— Je vous dérange peut-être ? dit-elle en entrant.

— Non, répondit M. du Rosier, qui était assis devant son bureau ; … je classais des papiers.

— C’est que j’ai à vous parler.

— Cela se trouve à merveille ; … depuis deux ou trois jours, je voulais te faire appeler pour causer avec toi.

— Vous avez donc quelque chose à me dire ? demanda Mlle du Rosier, qui rougit malgré elle.

M. du Rosier tourna vers elle deux petits yeux perçans, Il se leva et fit deux ou trois tours dans son cabinet sans parler. Pour la première fois de sa vie peut-être, il paraissait embarrassé. Il s’arrêta devant la fenêtre et tambourina du bout des doigts sur la vitre. Une certaine appréhension se glissa dans le cœur d’Alexandrine.

Au bout de quelques secondes, M. du Rosier se retourna brusquement.

— Tu sais peut-être qu’il s’agit d’un mariage ? dit-il.

— Oui, répondit résolument Alexandrine.

— M. de Mauvezin t’en a donc parlé avant de s’en ouvrir à moi ? continua M. du Rosier.

Alexandrine fit un signe de tête affîrmatif.