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— Vous ruiné ! mais comment ? s’écria Alexandrine.

— Ah ! comment ! Est-ce qu’on sait ?… Paris a tout dévoré… Un jour ceci, un jour cela !… Tu ne sais pas quels ravages les passions exercent quand elles se logent sous des cheveux blancs ! Le feu ne dévore pas la paille plus sûrement ; mais c’est une histoire que tu ne comprendrais pas… J’ai eu le vertige, et j’ai regardé s’en aller ma fortune comme on regarde l’eau couler !… À présent tout est fini !… J’ai bien pensé à vous, mais trop tard… Il y a six mois, j’ai voulu tout réparer d’un seul coup… j’ai fait de l’argent du peu qui me restait, et j’ai tout mis dans une affaire. C’était un coup de dés… je l’ai joué pendant mon dernier voyage à Paris. L’alïaire va mal, et je suis revenu comme l’enfant prodigue… Malheureusement l’enfant est un vieillard… Une lettre que j’attends peut modifier cette position… mais viendra-t-elle ? C’est au moins douteux… Enfin tu le sauras toujours !…

— Mais l’hôtel ! mais notre terre des Ronceaux ! reprit Alexandrine.

— L’hôtel ! les Ronceaux ! Ils sont hypothéqués jusqu’à la dernière pierre, jusqu’au dernier arbre ! Je te dis qu’il n’y a rien. Moi, je suis vieux : qu’ai-je à regretter ?… Toi, tu es forte et tu te raidiras contre la mauvaise fortune… mais ta sœur, la pauvre Louise !…

— Eh bien ! elle est jeune et jolie… on lui trouvera un mari comme à moi…

M. du Rosier regarda sa fille.

— Un mari, reprit-il, comme à toi !

— Sans doute… Est-ce qu’il ne me reste pas toujours M. de Mauvezin ? Sa fortune certainement n’est pas aussi considérable que celle que je croyais lui apporter, mais elle nous suffira.

M. du Rosier joignit les mains.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il, tu en es encore là !…

Un instant il contempla sa fille avec stupéfaction, comme un homme qui, se promenant sur le boulevard, se trouverait tout à coup en présence d’un Algonquin ou d’un sauvage de la terre des Papous.

— Enfin ! reprit-il avec un soupir, l’expérience te viendra plus tard !

— Que voulez-vous dire ? demanda Alexandrine, un peu troublée.

— Rien… je dis seulement que si tu épouses M. de Mauvezin, Louise pourra aussi se marier.

On comprend que Mlle  du Rosier ne dormit guère durant la nuit qui suivit cet entretien. Les choses que son père lui avait dites ne faisaient que revenir à son esprit. Elle les y retournait de cent façons. Cependant, malgré le trouble où l’exclamation de son père l’avait jetée, Alexandrine ne fit pas un instant à M. de Mauvezin l’injure de penser que le changement survenu dans la fortune de M. du