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Rosier pût en rien modifier sa résolution. L’eût-elle donc oublié, s’il avait été sans ressources ? Telle elle était, tel elle le jugeait. On doit ajouter à sa louange que l’avenir de Louise la préoccupa beaucoup plus que le sien propre.

Quelques jours se passèrent dans cette incertitude. M. du Rosier vaquait à ses affaires comme si les choses eussent toujours été dans le même état. Alexandrine n’osait pas l’interroger. Un soir, pendant un concert où son père avait voulu qu’elle se rendît et où se trouvait toute la bonne société de la ville, M. de Mauvezin s’approcha d’elle.

— Ne me demandez rien, dit-elle : il ne m’est pas encore permis de répondre.

— Ma vie est entre vos mains, murmura tout bas M. de Mauvezin, et il s’éloigna.

À la sortie du concert, Évariste prit le bras de sa cousine. Il faisait un temps superbe, et Mme de Fougerolles consentit à pousser jusqu’au pont de l’Allier pour voir le clair de lune. Deux ou trois personnes les accompagnaient. Quand on eut franchi le faubourg qui descend vers la rivière, Évariste pressa le pas.

— J’ai à vous parler, ma cousine, dit-il, et je ne sais comment m’y prendre.

— Eh bien ! parlez, dit-elle. Ce n’est pas plus difficile que ça.

— Vous ne m’en voudrez pas ?

— Mon Dieu, que de précautions ! Si j’avais à vous parler, je le ferais d’abord, quitte à voir après si cela vous contrarie…

— Eh bien ! ma chère cousine, il m’est revenu que la fortune de M. du Rosier était compromise, sinon perdue…

— Quelles folies ! dit Alexandrine, qui se sentit pâlir.

— Ah ! je voudrais bien que ces folies ne fussent pas si folles ! Elles me permettraient de vous offrir un cœur qui est à vous longtemps.

Alexandrine releva la tête fièrement.

— Le mien n’est plus libre, dit-elle.

La poitrine d’Évariste se serra.

— Alors, reprit-il, ne pensez plus à ce que je vous ai dit, mais si ce qu’on raconte est vrai, ne m’oubliez pas.

C’est à peine cependant si Mlle du Rosier l’entendait ; sa pensée était toute à M. de Mauvezin. Si Évariste avait eu connaissance de la ruine de M. du Rosier, ce même bruit, si bien fondé, pouvait être arrivé aux oreilles d’Anatole, et pourtant il venait tout à l’heure encore de s’engager avec elle. Ses prévisions étaient donc réalisées ; la perte de sa fortune ne pouvait rien contre l’amour qu’elle lui inspirait. La joie et l’orgueil enflaient ensemble le cœur d’Alexandrine. Évariste et Mlle du Rosier étaient alors à l’extrémité du pont, appuyés contre le parapet. Évariste regardait la rivière, Alexandrine regardait la