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On se récria sur l’étrangeté de ce compliment. — Un caractère ! la belle merveille ! Qui est-ce qui n’avait pas de caractère ? Et le singulier éloge que c’était là !

— Ah ! vous croyez ? répliqua M. Deschapelles en s’échauffant. Un caractère ! mais c’est ce qu’il y a de plus rare au monde. Personne n’a de caractère, ni vos amis, ni vous, ni moi !… Moulins n’est pas un trou : eh bien ! vous battriez la ville et les faubourgs, et peut-être n’en trouveriez-vous pas un second. Il y a des hommes qui veulent ceci, et des femmes qui veulent cela, la belle affaire ! Mais savoir ce que l’on veut, le vouloir bien, le vouloir toujours, être plein et entier dans sa volonté, voilà le magnifique, et je ne sais que Mlle du Rosier qui soit de cette trempe-là !

Cela dit, M. Deschapelles huma une prise de tabac. On l’accabla de questions pour savoir au moins ce que voulait son héroïne ; mais il se renferma dans un silence impénétrable, et son petit discours fut mis au compte des boutades qui lui étaient si familières.

Un matin, Alexandrine vit entrer chez elle Évariste, qu’elle n’avait pas vu depuis la mort de M. du Rosier.

— Je n’ai pas voulu troubler la douleur des premiers jours, lui dit-il. À présent, me voici.

Évariste paraissait embarrassé. Il la regardait et ne parlait pas. Enfin, faisant un effort sur lui-même :

— Vous souvenez-vous, reprit-il, de l’entretien que nous avons eu sur le pont, l’autre soir ?

— Oui, dit Alexandrine… Pourquoi me faites-vous cette question ?

— C’est que la main que je vous offrais est toujours à vous, et que vous me rendriez bien heureux en l’acceptant. Les circonstances sont peut-être changées…

— Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? demanda-t-elle vivement, et les yeux dans les yeux d’Évariste.

— Pardonnez-moi d’entrer dans votre vie avec cette franchise, mais il me semble qu’un parent peut le faire.

— Parlez.

— Eh bien ! je crois qu’il est parti.

Alexandrine pâlit légèrement ; elle prit un verre d’eau et l’avala. — C’est vrai, dit-elle.

— Vous m’en voulez ? reprit Évariste.

— Moi ! vous en vouloir ! et pourquoi ?

L’expression de ses yeux s’adoucit, et elle lui prit les mains.

— Ainsi, c’est parce que je suis seule au monde et abandonnée que vous venez à moi ? dit-elle.

— Ne suis-je pas votre meilleur ami ? Gardez cette main que vous