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retira de la présence de Mlle du Rosier à Paris. La vue de cette grande et belle fille dans le salon de la baronne apprit aux personnes qui le fréquentaient qu’elle avait recueilli chez elle une nièce de province sans fortune, et cette hospitalité si dignement offerte lui donna un grand renom de générosité. On ne manqua pas de lui en faire compliment, et tous les beaux éloges qu’on lui prodigua dans le cercle de ses amis, elle les reçut avec un air de modestie qui augmenta le mérite de cette belle action.

Mme de Fougerolles recevait régulièrement tous les mardis. On jouait au whist et on faisait un peu de musique. Son salon, très exclusif et très froid, passait d’ailleurs pour l’un des mieux hantés du faubourg Saint-Germain. Mlle du Rosier y fut présentée officiellement.

Un certain jour, Mme de Fougerolles avertit Mlle du Rosier qu’elle eût à donner des ordres pour un dîner de dix couverts. Mme de Fougerolles avait un procès pendant devant le tribunal de Moulins, et elle s’y ménageait des appuis.

— Nous aurons, dit-elle, quelques personnes du pays, entre autres un membre du conseil général que vous connaissez peut-être. Il vient d’être récemment appelé à la cour des comptes.

— Qui donc ? demanda Alexandrine.

M. de Mauvezin.

L’aiguille que Mlle du Rosier poussait sur la batiste cassa entre ses doigts.

— Enfin ! murmura-t-elle.

— Vous le rappelez-vous ? reprit Mme de Fougerolles.

— Un peu, répondit Alexandrine tranquillement.

Il y avait plusieurs mois qu’elle ne l’avait vu ; elle n’avait pas reçu de ses nouvelles et n’avait pas voulu en demander. Ils allaient se retrouver face à face. C’était pour elle un jour d’épreuve.

Le soir, quand on annonça M. de Mauvezin, elle posa la main sur son cœur comme pour l’interroger ; il battait un peu plus fort et un peu plus vite. Elle fronça légèrement les sourcils et regarda M. de Mauvezin dans une glace qui était en face de la porte d’entrée et qui réfléchissait son image. Elle n’éprouva à sa vue ni trouble ni émotion. — Bon ! pensa-t-elle, c’est un effet nerveux.

M. de Mauvezin parut un peu embarrassé en la voyant. Elle se leva à demi pour répondre au salut qu’il lui fit et lui tendit la main en souriant. L’embarras d’Anatole devint de l’étonnement. Il se demanda si elle avait reçu sa lettre.

— Pardonnez-moi si je ne vous ai pas répondu, dit-elle, comme si elle avait deviné sa pensée ; j’étais fort occupée quand votre lettre m’a été remise ; plus tard j’ai attendu qu’une circonstance nous rapprochât pour m’excuser. Vous ne m’en voulez pas ?

M. de Mauvezin était fort interdit. Cet accueil aimable et préve-