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Ah ! je ne croyais pas que mon cœur pût battre si fort ! Chère sœur ! sa vue me rafraîchira… Je verrai aussi Évariste. Avec quelle joie je sentirai ma main dans la sienne ! Évariste et Louise, les seuls êtres vers lesquels ma pensée se repose sans trouble !… Vous qui m’êtes si chers, à demain ! »

IV.

À son arrivée à Moulins, Mlle du Rosier trouva Louise un peu pâlie par la retraite où elle vivait. Svelte, blanche, élancée, le front rêveur et comme doucement voilé par l’habitude du silence et de la prière, elle ressemblait à ces vierges de marbre dont les artistes du moyen âge inclinaient les mains pieuses au-dessus des bénitiers. Alexandrine obtint facilement de Mme de Fougerolles l’autorisation d’amener Louise à La Bertoche. Évariste promit de s’y rendre de son côté, et le printemps les réunit tous trois dans cette solitude.

Le premier jour qui les vit ensemble, Mlle du Rosier était comme enivrée. Elle prit Évariste et Louise par la main, et se mit à courir dans les avenues du parc. — Ah ! dit-elle, je respire enfin.

— Si vous vouliez, dit Évariste, vous respireriez toujours.

Alexandrine lui montra une hirondelle qui traversait le ciel.

— Pourquoi cette hirondelle ne reste-t-elle pas dans ce coin bleu du ciel ? dit-elle.

Évariste demeura jusqu’à la fin du mois au château. Jamais Mlle du Rosier n’avait été pour lui si tendre et si charmante. On eût dit qu’elle voulait le consoler du mal qu’elle lui avait fait.

La fête de Mme de Fougerolles tombait dans les premiers jours de juin. Mlle du Rosier, qui ne prenait plus conseil que d’elle-même pour tout ce qui avait trait à la vie intérieure, décida que cette fête serait célébrée avec un certain éclat. La vanité de la baronne y trouvait son compte : elle consentit à ce que voulait sa nièce, en lui recommandant seulement de ne pas faire de folies. Parmi les invités, le nom de M. de Mauvezin fut inscrit l’un des premiers. Mlle du Rosier ne l’avait pas prononcé, et cependant il était en tête de la liste.

— Tu danseras avec lui la première contredanse, petite, dit Mme de Fougerolles.

— Volontiers, répondit-elle.

Évariste la regarda. — Je ne comprends pas que vous ayez pu lui pardonner, dit-il à Mlle du Rosier quand ils furent seuls.

— Et qui vous dit que je lui aie pardonné ? répliqua-t-elle de cet air hautain qu’elle avait quelquefois.

Évariste cacha son visage entre ses mains. — Vous êtes impénétrable, reprit-il.