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Elle sourit, et, l’attirant doucement vers elle : — Quoi qu’il arrive et quoi que je fasse, dit-elle, rappelez-vous bien ceci : je n’oublie jamais rien.

L’expression du regard qu’elle lui jeta en se retirant était si singulière, qu’Évariste la suivit longtemps des yeux.

— Quel aimant a-t-elle donc ? pensa-t-il. Je souffre toujours quand je la vois, et je ne puis m’empêcher de l’aimer toujours.

Le lendemain, Évariste annonça à Mlle  du Rosier qu’il allait partir pour un long voyage, sa présence lui paraissant inutile aux fêtes dont les préparatifs se faisaient sous ses yeux. — Eh bien ! dit-elle, promettez-moi, quoi que vous appreniez, et dans quelque circonstance que ce soit, de revenir aussitôt que je vous appellerai. Quelque chose me dit que j’aurai besoin de vous.

— Dieu le veuille ! répondit Évariste.

Ils se séparèrent. Elle monta sur son balcon pour le voir encore, tandis qu’il descendait la côte au bas de laquelle passait le chemin. Il lui semblait que c’était l’ombre de sa jeunesse qui s’en allait. Une angoisse indéfinissable remplissait son cœur. Elle revit en esprit tous les jours d’autrefois, et fut prête à lui crier de revenir ; mais au détour du sentier il disparut derrière un rideau d’arbres. Ses bras, qu’elle avait levés, retombèrent à ses côtés. — Allons ! dit-elle, il faut penser à demain !

Quelques mots surpris dans une conversation avaient fait croire à Mlle  du Rosier que Mme  de Fougerolles avait prêté l’oreille à un projet de mariage. Elle voulut en avoir le cœur net, et, profitant de la présence de M. Deschapelles au château, elle le prit à part et l’interrogea, pensant qu’il pourrait bien être l’auteur du projet.

— Qu’avez-vous donc à chuchoter là-bas ? dit Mme  de Fougerolles, qui lisait dans un coin.

Mlle  du Rosier se pencha vivement vers M. Deschapelles : — Êtes-vous de mes amis ? dit-elle tout bas.

— Oui, certainement.

— Eh bien ! ne me démentez pas.

Et se tournant du côté de sa tante : — Savez-vous bien ce que ce cher notaire me proposait ? dit-elle.

— Non.

— Un mari.

— Ah !

Cet ah ! exprimait plus d’embarras que d’étonnement.

— Bon, pensa Mlle  du Rosier, le projet vient de ma belle tante.

— Eh bien ! qu’en dis-tu ? reprit Mme  de Fougerolles.

— Je dis que M. Deschapelles se moque de moi.

— Et pourquoi donc ?

— Eh mon Dieu ! ma chère bonne tante, parce qu’une fille sans