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langage de Léonidas, et se prépara de son côté aux hostilités. Il lui importait d’avoir quelques bâtimens légers à Ibraïla ; il donna l’ordre au commandant de la flottille qui se trouvait à Ismaïl de forcer le passage sous le canon d’Isaktcha avec une partie de sa petite escadre, Isaktcha est un petit fort qui commande un bras du Danube, le seul où il y ait pendant la saison des chaleurs assez d’eau pour remonter le fleuve. Ce fort n’était alors armé que de deux canons de petit calibre ; deux bateaux à vapeur et une chaloupe canonnière russes forcèrent le passage avec une perte d’environ cinquante hommes. Le général Lüders, qui occupait sur la rive gauche du fleuve et presqu’en face d’Isaktcha le village de Satanof en Bessarabie, protégea de son artillerie le passage de la flottille[1].

Malgré ce premier engagement, où les Russes avaient été les agresseurs, les ambassadeurs de France et d’Angleterre obtinrent de la Porte-Ottomane que les hostilités seraient suspendues pendant un mois, et des ordres furent en conséquence expédiés dans ce sens aux commandans en chef des armées d’Europe et d’Asie. Omer-Pacha voyait pourtant la saison déjà avancée ; il voulait en outre s’emparer d’un point stratégique sur le Danube pour empêcher toute communication de l’armée russe avec la Servie, où elle trouvait de grandes sympathies, et pour assurer son flanc gauche. Aussi ne tint-il aucun compte des ordres qu’il avait reçus de Constantinople, et commanda-t-il à Ismaïl-Pacha de passer le Danube de Widdin à Kalafat. Pour assurer le succès de cette manœuvre hardie ainsi que des travaux qu’il se proposait de faire à Kalafat, Omer-Pacha dirigea de vingt à vingt-cinq mille hommes sur Turtukaï, afin de faire une démonstration contre le centre de l’armée russe. Néanmoins, comme il avait eu soin de réunir à Routschouk une force égale, le prince Gortchakof fut induit en erreur, et crut que le serdar voulait tenter le passage du Danube à Giurgevo. Le gros de l’armée russe fut donc échelonné sur la route de Bucharest à Giurgevo. Ainsi le prince Gortchakof semble s’être laissé tromper deux fois : il ne croyait pas que le but principal d’Omer-Pacha fût de s’établir dans la Petite-Valachie, où il n’avait envoyé qu’une division d’infanterie pour renforcer le général Fischbach, et il se portait sur Giurgevo, tandis que le serdar allait faire une descente à Oltenitza. Peut-être le généralissime russe n’avait-il pas de forces suffisantes pour empêcher les Turcs de s’établir soit dans la haute, soit dans la Basse-Valachie.

Dans la nuit du 2 novembre 1853, le serdar fit occuper l’île située

  1. Dans le bulletin qu’il publia pour rendre compte de cette affaire, il représenta le bourg d’Isaktcha comme ayant été réduit en cendres par ses boulets. L’auteur de ces souvenirs a passé à Isaktcha très peu de temps après le combat ; pas une maison n’avait été brûlée.