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retrouvons toutes les pensées, toutes les émotions que David a su exprimer avec tant d’éloquence. Les trente années qui nous séparent de cette funèbre journée n’ont pas affaibli la vivacité de l’image gravée dans notre mémoire, et nous devons louer la composition de David comme le tableau fidèle du deuil auquel nous avons assisté. La mort d’un grand citoyen pleuré par son pays, accompagné à sa dernière demeure par les regrets unanimes d’une foule éplorée, sera toujours pour la sculpture un très beau sujet. David en a religieusement accepté toutes les conditions, et les plus difficiles avoueront que les funérailles du général Foy ne pèchent ni par l’emphase ni par la monotonie. L’attitude des personnages est bien ce qu’elle doit être. Tous les visages, empreints d’une douleur vraie, conservent la simplicité que l’on ne doit jamais oublier. L’exagération était à craindre dans un tel sujet, et l’auteur a su l’éviter. Aussi je pense que de tous les tombeaux élevés par David, celui du général Foy est le mieux conçu.

Le tombeau du général Gobert, exécuté vingt ans plus tard, ne me paraît pas aussi heureux comme composition. Voici pourquoi : le général est représenté à cheval, et sous son cheval on aperçoit un Espagnol qui veut l’arrêter au péril de sa vie. Quel que soit le talent déployé par l’auteur dans ce groupe militaire, je ne puis m’empêcher de regretter le parti auquel David s’est arrêté. Cette action énergique n’est pas à sa place. Elle se comprendrait, elle serait admirée sur une place publique. Sur un tombeau, elle se comprend à grand’peine et perd une partie de sa valeur. Quand il s’agit de consacrer la mémoire des morts, le plus sage est de nous offrir leur image dans une attitude simple et calme; c’est dans les bas-reliefs du piédestal qu’il faut retracer les principaux épisodes de leur vie. Pour peu qu’on étudie les conditions de la sculpture appliquée à de tels sujets, il est difficile de ne pas arriver à cette conclusion : David, en composant le tombeau du général Gobert, a tout sacrifié à l’expression de la vie réelle. Il a voulu figurer sur le piédestal la résistance héroïque de l’Espagne à l’invasion française. Or je crois pouvoir affirmer que le groupe placé sur le tombeau non-seulement ne s’accorde pas avec sa destination, mais affaiblit l’effet des bas-reliefs. Dans cette œuvre, dont les mérites sont d’ailleurs nombreux malgré les objections que je viens d’exposer, l’auteur a nettement répudié tous les souvenirs de l’antiquité. Le général porte l’uniforme de son grade, l’Espagnol qui essaie de l’arrêter a le costume national; dans les épisodes militaires qui décorent les faces du piédestal, même fidélité. A ne considérer que le côté expressif, le tombeau du général Gobert soutiendrait la comparaison avec le tombeau du