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comptaient quelques-uns de leurs citoyens les plus justement estimés à côté des représentans de leurs plus anciennes familles. Le serdar accueillit avec bienveillance les auteurs de l’adresse, mais il ne sut pas se résoudre à agir. Bien mieux, il laissa le gouvernement et l’administration aux hommes à qui les Russes les avaient confiés, quand il était le maître d’établir immédiatement, sans effort et sans violence, un gouvernement qui eût été dévoué à la Porte-Ottomane et aux puissances occidentales. Omer-Pacha ne sut ni organiser une force publique nationale, ni installer un gouvernement nouveau, conforme aux vœux et aux intérêts du pays et de l’alliance. Après la victoire, Omer-Pacha tomba dans une inaction funeste, et son impuissance à rien fonder au milieu des circonstances les plus favorables, éclatant à tous les yeux, lui fit perdre, ainsi qu’à la Porte-Ottomane, en très peu de jours, l’immense influence dont on se plaisait à l’investir, et qu’il ne tenait qu’à lui d’exercer.

On chercha à pénétrer les raisons de cette conduite étrange. Les uns crurent qu’Omer-Pacha, entouré de flatteurs subalternes qui s’étaient emparés de son esprit, plein d’illusions sur sa situation personnelle, avait rêvé, dans les principautés réunies sous sa main, un pouvoir qui aurait eu l’assentiment des puissances européennes, l’acclamation des Roumains, l’éclat d’une vice-royauté et la durée que Dieu réservait à son existence. De là une tendance systématique à ménager tous les partis. D’autres pensèrent qu’Omer-Pacha n’agissait que d’après les instructions de la Porte-Ottomane, préoccupée de complaire à l’Autriche, qui craignait elle-même le réveil d’une nationalité qu’elle voulait contenir dans les lisières d’une longue enfance ; mais alors pourquoi Omer-Pacha s’était-il tant hâté de faire flotter le drapeau turc dans les principautés, si ce n’était que pour en montrer l’impuissance ? Quoiqu’il en soit, le serdar, maître un moment de la situation, put bientôt voir que son heure était passée, que le premier rôle ne lui appartenait plus, et qu’il allait avoir tous les inconvéniens et tous les ennuis d’une position secondaire, après avoir hésité à s’emparer de celle qui s’était d’abord offerte à lui. Les Autrichiens, en vertu de la convention du 14 juin, occupèrent les principauté, et le feldzeugmestre baron de Hess débuta par une proclamation qui blessa les Turcs, provoqua les vaines et tardives réclamations de la Porte-Ottomane, et répandit le découragement parmi les Moldo-Valaques. Tandis que les populations et les boyards patriotes : s’attristaient d’une occupation militaire qui s’annonçait sous de tels auspices, les boyards rétrogrades, les vrais partisans russes, les amis des abus et de la corruption se réjouissaient instinctivement de l’entrée des Autrichiens, et chaque jour faisait croître leur sécurité, leur insolence, leur audace même en face des Turcs. Cette audace grandit encore lorsque l’hospodar Stirbey rentra à