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chevalier courtois en lui disant : « Conservez-la en souvenir de moi et de ce jour fortuné, où nos cœurs se sont entendus. Tant que vous resterez fidèle à ce souvenir, la fleur que je vous donne gardera sa fraîcheur, mais elle se flétrira aussitôt que vous m’aurez oubliée, ou que vous changerez de sentiment. » Leandro partit bientôt pour la guerre lointaine. Il vit des cieux nouveaux et des princesses plus jeunes et plus belles que ne l’était Lesbina. Son cœur, ambitieux et fragile aux séductions de la volupté, s’oublia ; il fut infidèle, et la fleur perdit son éclat printanier. Lesbina attendait le retour de son cher Leandro. Des mois et des années s’étaient écoulés depuis son départ, sans qu’on eût reçu de ses nouvelles. Toujours accoudée au balcon de marbre, elle plongeait son regard dans l’horizon d’azur, et demandait aux passans d’une voix plaintive : Ne voyez-vous rien venir, n’apercevez-vous pas au loin, dans un tourbillon lumineux, un beau cavalier portant une aigrette d’or ? — Non, non, répondaient les passans : on ne voit que l’espace infini, on n’entend que le bruit du jour qui expire. Enfin, perdant l’espérance de revoir jamais celui qui avait emporté son cœur, Lesbina dut se résoudre à épouser l’homme que lui avait choisi son père. Le jour des noces arrivé, le palais du roi se remplit de chants joyeux : seule, la princesse Lesbina était triste et taciturne au milieu de la foule empressée ; elle regardait autour d’elle, et semblait attendre qu’un inconnu vînt interrompre la fête et empêcher le sacrifice. Le soir, pendant que toute la cour dansait aux sons d’une musique enivrante, Lesbina descendit dans le parc pour y soulager son cœur ; elle aperçut, sur un arbre qui était à sa portée, un bel oiseau au plumage d’or qui tenait une fleur toute semblable à celle que Leandro avait emportée à la guerre. Lesbina voulut prendre l’oiseau mystérieux, qui s’enfuit devant elle, et qu’elle poursuivit d’arbre en arbre jusqu’au bout du parc, puis au-delà du royaume de son père et jusqu’au bout du monde, qu’elle parcourut ainsi sans s’en apercevoir. Arrivée aux confins de la terre, l’oiseau d’or disparut devant ses yeux. Ne pouvant plus retourner sur ses pas, la princesse continua son voyage douloureux à travers les astres qui remplissent l’immensité des cieux. Frappant à la porte de chaque planète, elle demandait d’une voix pleine d’anxiété : — Avez-vous vu passer un oiseau au plumage d’or, portant une fleur ? — Oui, lui répondait-on ; mais il s’est envolé vers d’autres climats ! Poussée par la force invincible du sentiment, la princesse traversa les mondes innombrables, faisant la même question et recevant toujours la même réponse : « Il s’est envolé vers d’autres climats ! » Elle parvint ainsi jusqu’aux portes du paradis, où l’ange qui en gardait l’entrée lui répondit enfin : — L’oiseau que tu cherches et que tu poursuis, ô belle enfant, n’a jamais existé. C’est une vision, une chimère de l’on cœur ; mais la foi que tu as eue dans la constance de