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répète, l’homme n’a pas plus créé le son qu’il n’a créé la couleur ; notre oreille perçoit la sonorité comme notre œil perçoit la lumière, et les sept couleurs du prisme solaire nous sont données par la nature, comme les sept notes de la gamme qui constituent l’unité de l’octave. D’où vient cependant la variété d’émotions, de systèmes et d’écoles qui nous frappe dans l’histoire des peuples ? De la même cause qui a produit la variété des langues, qui toutes peuvent se réduire à un petit nombre de sons radicaux ou primitifs diversement combinés : cette cause, c’est la liberté de l’âme. Nous retrouvons ici ce dualisme de notre nature, composée de corps et d’esprit, de besoins impérieux et d’aspirations infinies, de faiblesse et de grandeur, de providence et de liberté. Nous ne pouvons créer un fétu, et nous transformons le monde à notre image ; il nous est impossible de produire un son ni une couleur, mais nous faisons un Raphaël ou un Palestrina, un Titien ou un Marcello.

Sans vouloir trop insister sur ce phénomène curieux de la variété des échelles musicales, qui toutes peuvent être facilement ramenées au type de notre gamme diatonique, voici comment je m’explique ce fait, qui a si fort embarrassé les historiens de la musique.

La musique, comme nous la comprenons de nos jours, est un art complexe qui est le résultat de trois élémens : mélodie, — rhythme, — harmonie. Bien que ces trois élémens soient dans la nature, et qu’ils s’offrent à nous presque simultanément dans une sensation confuse, nous ne les percevons toutefois que l’un après l’autre, et, historiquement parlant, la mélodie est le premier fait qui nous frappe et nous saisit. La mélodie est une succession de sons quelconques qui forment un chant compréhensible à notre oreille. Le rhythme, c’est le mouvement qui traverse nécessairement la mélodie et lui donne un caractère, ce qui a fait dire à Martianus Capella, un compilateur du Ve siècle de notre ère, que la mélodie, c’est la femme, et le rhythme, l’homme qui la féconde. L’harmonie résulte de plusieurs sons entendus ensemble, et qui produisent ce que nous appelons un accord. Comme succession mélodique, il peut exister un nombre plus ou moins grand de combinaisons provenant d’un caprice de l’oreille, d’une nuance de sentiment, ou d’une flexion particulière de l’organe dans un milieu donné ; mais aussitôt que l’harmonie intervient à l’état d’accords non pas isolés, mais enchaînés l’un à l’autre par l’affinité des sons qu’ils renferment et qui s’appellent, selon la belle expression d’un père de l’église, cette harmonie impose à la série mélodique un ordre nécessaire qui, de modification en modification, la ramène au type de notre gamme diatonique. Voilà en quelques mots l’histoire de la musique, dont la période de première maturité se caractérise par la formation de la gamme dans les