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série. Pendant que le ministre poursuivait d’autres expériences nécessaires au but qu’il se proposait, un couple d’oiseaux, mâle et femelle, vint se percher sur un arbre voisin. Le mâle se mit à chanter et fit entendre six sons ; la femelle, lui répondant, en articula six autres, et il se trouva que les douze sons réunis ensemble formaient les douze degrés de l’échelle chromatique. Le ministre, profitant de la leçon qu’on venait de lui donner, coupa douze bambous et en fixa la longueur nécessaire pour produire les douze demi-tons ou degrés chromatiques qui sont contenus dans l’unité de l’octave.

Cette fiction charmante, qui touche au caractère moral de la musique et à la constitution physique de l’échelle sonore, contient des vérités fondamentales, qui ont été confirmées depuis par des expériences plus rigoureuses et entrevues dans l’antiquité par un personnage presque mythologique, qui joue un très grand rôle dans l’histoire de la musique et de la civilisation grecques : je veux parler de Pythagore. De tous les contes dont ce grand philosophe a été le sujet, — car Pythagore, comme Socrate, n’a laissé qu’une tradition et des disciples, — il reste démontré qu’il fut le premier à soupçonner que le monde était soumis à des lois immuables dont il appartenait aux géomètres de trouver la formule. En conséquence de ce principe, qui a eu de si grands résultats, Pythagore, a soumis au calcul les phénomènes des corps sonores et fixé la justesse absolue des intervalles qui sont contenus dans les limites de l’octave. Par une expérience ingénieuse et fort connue, Pythagore prouva qu’il avait le pressentiment de cette belle pensée de Leibnitz : « La musique est un calcul secret que l’âme fait à son insu. » Définition admirable, qui semble dérobée à la langue de Platon, et qui concilie la liberté indéfinie du génie créateur de l’homme avec l’ordre absolu qui règne dans la nature des choses : Mens agitat molem ! Le système musical des Grecs a exercé une trop grande influence sur l’origine du chant ecclésiastique pour que je me dispense d’en dire quelques mots, sans lesquels il serait impossible de comprendre les révolutions successives d’où est sorti l’art moderne.

Ce peuple, prédestiné au culte des belles choses, avait pris pour mesure de l’échelle infinie des sons perceptibles non pas l’unité naturelle de l’octave, mais celle du tétracorde, formé, comme l’indique le mot, de quatre cordes ou degrés. La manière dont ces quatre degrés se suivaient constituait la variété du tétracorde, et la succession des tétracordes caractérisait la nature particulière des échelles ou des modes. Si les tétracordes s’enchaînaient l’un à l’autre sans aucune solution de continuité, l’échelle qui en résultait était qualifiée de système conjoint ; dans le cas contraire, elle recevait le nom de disjoint. Dans l’origine, les Grecs ne possédaient que trois principaux modes, le dorien, le phrygien et le lydien, qui se distinguaient