Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la place qu’occupait le demi-ton dans le tétracorde. À ces trois modes primitifs il en fut ajouté d’autres dans la suite, et l’ensemble de leur système musical était formé d’une assez grande variété d’échelles, qui se caractérisaient par la place toujours variable qu’occupait le demi-ton dans la série diatonique. Indépendamment du genre diatonique, qui procédait, comme notre gamme moderne, par intervalles de tons et demi-tons diversement enchaînés, les Grecs avaient aussi le genre chromatique, composé d’une succession de demi-tons, et le genre enharmonique, où il entrait des intervalles minimes de quarts de ton.

On le voit, cette variété d’échelles musicales, où le tétracorde était l’élément constitutif, les trois systèmes, — diatonique, chromatique et enharmonique, — qui en résultaient selon la composition du tétracorde, tout cela formait un ensemble de combinaisons artificielles qui avaient une assez grande analogie avec les nombreux dialectes locaux qui se parlaient dans la Grèce à l’origine de son histoire. Ces dialectes, réduits par le temps au nombre de trois, l’éolien,le dorien et l’ionien, finirent aussi par être absorbés dans la langue générale, la langue attique, formée et consacrée par les chefs-d’œuvre du génie. Cette analogie vous paraîtra encore plus frappante quand vous saurez que le genre enharmonique pur, que notre oreille aurait de la peine à supporter aujourd’hui, fut le premier en usage dans la Grèce, et disparut devant le genre diatonique, comme un dialecte plein de subtilités et de nuances devant une langue plus simple et plus régulière. Un célèbre théoricien grec, Aristide Quintilien, dit en propres termes que le genre enharmonique fut abandonné comme n’étant pas accessible à l’oreille du plus grand nombre[1]. Ce fait historique, qui se trouve confirmé par d’autres autorités[2], prête un nouvel appui à cette loi d’analogie que j’ai établie entre les formes mélodiques et les langues qui se simplifient d’autant plus qu’elles s’éloignent de leur source et deviennent l’instrument d’une civilisation plus générale.

— Voulez-vous me permettre de vous adresser une question ? Dit

  1. Sur cette question ardue du système musical des Grecs, il a été fait de nos jours, tant en France qu’en Allemagne, de nombreux et intéressant travaux. Parmi les publications remarquables sur ce sujet controversé, il est juste de citer d’abord l’ouvrage de M. Vincent, Notice sur les divers Manuscrits grecs relatifs à la Musique. Ce livre, rempli de notes nombreuses et intéressantes, a valu à M. Vincent les suffrages de l’Institut, dont il est devenu membre. M. Vincent a publié depuis différens écrits ayant tous pour but d’éclairer cette matière, qui nous parait, à nous, beaucoup plus simple qu’on n’est disposé à le croire. C’est tout au plus si nous admettons avec l’abbé Zamaria l’existence pratique du genre enharmonique, qui pourrait bien n’avoir été qu’une subtilité des théoriciens.
  2. « Moins de vingt siècles après Olympe, dit M. Vincent, le genre enharmonique était entièrement tombé en désuétude. » A l’appui de son opinion, il cite un passage de Photius qui est sans réplique.