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Ce n’est point une exagération de dire que le culte de la vierge Marie a reçu en Italie un éclat de poésie qu’il n’a jamais eu chez aucun peuple du monde catholique. Principalement dans cette partie de la Romagne qu’on appelle l’Ombrie sont nés quelques hommes tendres, pieux et divinement inspirés, qui ont créé l’idéal ineffable de la mère de Jésus-Christ : ce sont, avec saint François d’Assise, Jacopone da Todi, Raphaël d’Urbino et Jean-Pierre Luigi da Palestrina. Sur cette admirable séquence du Stabat Mater dolorosa, que Jacques des Benedetti, connu sous le nom de Jacopone da Todi, publia à la fin du XIIIe siècle, il a été fait un grand nombre de compositions musicales parmi lesquelles je ne mentionnerai que la mélodie du plain-chant romain, le Stabat de Palestrina et celui de Pergolèse, que tout le monde connaît. Il existe deux Stabat de Palestrina, l’un à trois chœurs qui est inédit, et celui que vous venez d’entendre à deux chœurs de quatre parties. Eh bien ! si l’on compare les paroles de Jacopone à la musique de Palestrina, et si l’on rapproche cette dernière composition du tableau de Raphaël connu sous le nom du Spasimo, on a sous les yeux trois momens de l’histoire, la traduction d’un sentiment dans trois langues différentes, qui sont loin d’avoir le même degré de perfection. Dans le morceau de Palestrina, les deux chœurs alternent et se répondent pieusement comme deux groupes de chrétiens qui se raconteraient les incidens du grand sacrifice accompli sur le Calvaire. À certains momens décisifs du récit, les deux chœurs se réunissent comme s’ils étaient trop émus du spectacle de la douleur maternelle pour s’écouter isolément :

Oh ! quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta !

Puis ils recommencent à dialoguer pour confondre de nouveau leur douleur au cri suprême :

Dam emisit spiritum !

Après un changement de mesure qui sépare la partie pathétique du drame divin de la conclusion, qui est d’une expansion toute lyrique, les deux chœurs reprennent la même série de strophes et d’antistrophes alternant et s’unissant tour à tour jusqu’à la glorification finale :

Fac ut animae donctur
Paradisi gloria.

Cela est beau, plein d’onction et d’une piété qui vous pénètre l’âme, qui la remplit d’une tristesse résignée et vraiment chrétienne ; mais on chercherait inutilement dans la composition de Palestrina la douleur profonde et concentrée que Raphaël a mise dans le regard éploré de la Vierge qui tend les bras au divin supplicié, cette diversité