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de personnages qui concourent à l’action générale et trahissent leur caractère par la variété des attitudes, ces physionomies qui parlent et qui expriment chacune une nuance particulière de sentiment, ces tons d’une gamme si riche, ces horizons qui éclairent la nature, enfin tous ces détails matériels qui révèlent les mœurs, le temps et les lieux où s’accomplit le sacrifice. La musique n’avait encore ni perspective, ni fonds de paysage, ni complication d’incidens dramatiques. Elle peignait tout sur le même plan et n’exprimait que le sentiment général des paroles, sans pouvoir individualiser l’accent de la passion. La révolution qui s’est opérée dans la peinture depuis l’avènement de Masaccio jusqu’à Raphaël, qui la résume, n’avait pas encore eu lieu dans l’art musical à la mort de Palestrina. Cette révolution mémorable, qui doit séculariser la musique et la faire entrer pleinement dans le mouvement de la renaissance, nous allons la voir éclater à Venise, où il est bien temps que je revienne[1].


III

Après cette première partie du discours de l’abbé Zamaria, qui fut écouté avec un très vif intérêt, il y eut une sorte d’intermède qui fut rempli par quelques morceaux de musique, dont un duo de Paisiello, chanté par le vieux Pacchiarotti avec Beata. C’était le fameux duo de l’Olympiade, composé à Naples en 1786 pour la Morichelli, qui faisait Aristea, et pour je ne sais plus quel sopraniste célèbre qui remplissait le rôle de Megacle. Beata, qui ne pouvait croire entièrement au bonheur que la conduite de son père, depuis quelque temps, semblait lui promettre, et qui ne voyait pas sans un triste pressentiment le prochain départ de Lorenzo, mit une émotion singulière dans ces paroles du récitatif : E mi lasci cosi, « et tu m’abandonnes ainsi ? » Sa voix de mezzo-soprano, d’un timbre si suave et si pénétrant, s’éclaira comme d’un rayon d’espoir en articulant ces mots significatifs : Va… ti perdono… pur che torni mio sposo ; « va !… je te pardonne… si tu reviens mon époux ! » Pacchiarotti, l’inimitable Pacchiarotti lui-même, fut étonné de la manière dont cette jeune personne chanta la phrase admirable de l’andante en fa mineur :

Nè giorni tuoi felici.
Ricordati di me !
  1. Il y aurait aussi un curieux rapprochement à faire entre le Stabat de Palestrina, que vient d’analyser l’abbé Zamaria, celui de Pergolèse au commencement du XVIIIe siècle, et le Stabat que Rossini a composé de nos jours, avec tous les moyens d’expression que possède l’art moderne. Ce serait raconter l’histoire de la musique depuis trois cents ans et les vicissitudes éprouvées par le sentiment religieux et la poésie catholique.