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— Perché cosi mi dici,
Anima mia, perche[1] ?

Ce sentiment exquis, Beata le tirait de son propre cœur. Aussi Lorenzo n’eut-il pas de peine cette fois à comprendre un langage si peu équivoque, et ses yeux, attachés aux lèvres inspirées de la fille du sénateur, exprimaient sans contrainte le ravissement où le plongeait la certitude d’être aimé. Ce duo de l’Olympiade, qui faillit un instant compromettre le secret de Beata, le chevalier Sarti ne se doutait pas alors qu’un jour il le chanterait lui-même avec une autre femme, Frédérique, qui devait réveiller dans son cœur flétri l’imagé d’un bonheur depuis longtemps évanoui.

Signori, dit l’abbé Zamaria après ce court épisode, qui ne passa pas inaperçu, la musique commence à Venise, comme chez tous les peuples de l’Occident, par des chansons populaires qui remontent aussi loin que les souvenirs de l’histoire, et par le plain-chaht ecclésiastique, dont je vous ai raconté la formation aux premiers siècles du christianisme. Ces deux élémens, qu’on retrouve partout, se distinguent d’abord assez fortement entre eux, puis ils se rapprochent, et finissent par se confondre dans une période de temps qui est le fond de la civilisation moderne. Aussitôt que notre basilique de Saint-Marc fut construite, au commencement du Xe siècle, elle devint le centre de l’art religieux de notre pays et l’objet de la plus grande sollicitude du sénat. Sans nous arrêter sur des faits plus ou moins authentiques, il est certain que, dès les premières années du XIVe siècle, l’église de Saint-Marc possédait un service musical et des orgues qui faisaient déjà l’admiration de l’Italie. Je ne vous parlerai ni de ce prêtre vénitien, nommé George, qui, ait dire d’Ëginhard, aurait construit un orgue pour Louis le Débonnaire à Aix-la-Chapelle, ni d’une foule de nos compatriotes qui se sont distingués dans la fabrication de ce bel instrument, qui n’était pas inconnu à l’antiquité. Ce qui est hors de toute contestation, c’est que le premier organiste connu de l’église Saint-Marc se nommait Zucchetto, et qu’il eut pour successeur Francesco da Pesaro. À partir de cette époque, la série des organistes et des maîtres de chapelle de notre basilique est aussi connue que celle de nos doges et de nos patriarches. Par une ordonnance du doge Michel Sténo, publiée le 18 février 1403, huit enfans de chœur sont attachés au service de la chapelle ducale, élevés et entretenus aux frais de la république. À la fin du XVe siècle, vers 1470, l’église de Saint-Marc possède un chœur nombreux de chanteurs, deux organistes chargés de toucher les deux grandes orgues qui depuis lors ont toujours existé dans notre chapelle

  1. « Dans tes jours de bonheur souviens-toi de moi. — Pourquoi me dis-tu cela mon bien-aimé, pourquoi ? »