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lui fait désirer plus vivement le retour d’un ordre meilleur. Donc il y a un principe qui guide notre sensibilité, principe antérieur à la sensation que produit en nous le son musical, et qui exige un certain ordre dans la succession et la nature des intervalles qui sont les élémens de l’octave. Dans l’antiquité, Pythagore et ses disciples classaient les intervalles d’après une loi mathématique, c’est-à-dire d’après le nombre absolu de vibrations dont ils sont le produit, tandis qu’Aristoxènes et ses partisans voulaient qu’on s’en rapportât à l’oreille, seul juge compétent des combinaisons admissibles, comme l’œil est l’appréciateur suprême de l’harmonie des couleurs. Ces deux manières d’envisager la question, dont l’une caractérise le philosophe préoccupé de la cause du phénomène, et l’autre l’artiste inquiet surtout de l’effet, ne sont pas aussi inconciliables qu’on pourrait le croire ; car s’il existe une loi qui fixe les rapports des sons entre eux, cette loi, dont le compositeur n’a pas plus à s’occuper que le peintre de la nature des couleurs, doit être un jour accessible à la science des nombres, qui est la science même des rapports.

Quoi qu’il en soit de la solution de ce problème réservé à l’avenir, il est certain que les Grecs construisaient leur échelle de trois manières différentes : en y faisant entrer des intervalles de quart de ton, qui donnaient naissance au genre dit enharmonique, le plus ancien de tous, s’il faut en croire les théoriciens ; — en procédant par intervalles de demi-tons, ce qui constitue le genre chromatique,— ou bien par une succession de tétracordes, qui portait alors le nom de genre diatonique du naturel. L’église, en adoptant forcément le système musical des Grecs, qu’elle trouva parmi les débris de la civilisation romaine, écarta les deux premiers genres, qu’elle jugeait sans doute trop difficiles pour l’oreille inexpérimentée du peuple qu’elle voulait diriger ; puis, simplifiant encore le genre diatonique, elle en tira les huit échelles du plain-chant grégorien, dont j’ai raconté la formation. Or quel est le caractère respectif des différens tons ou modes du plain-chant ecclésiastique ? On pourrait presque répondre que c’est de ne point en avoir, de créer des séries de sons mobiles formées d’une quarte et d’une quinte superposées l’une à l’autre d’une manière fort arbitraire, et qui se refusent à une classification vraiment scientifique. En effet les modes de l’église ne se distinguent que par le demi-ton qui entre dans la composition du tétracorde et qui n’occupe jamais le même degré. Dépourvus de trois notes essentielles, de finale et de dominante régulières, et de la note sensible, qui fait pressentir et désirer à l’oreille l’accomplissement de la consonnance d’octave, les modes du plain-chant ne sont que des formes mélodiques léguées par les générations primitives, des espèces de dialectes peu compatibles avec la régularité de succession qu’exige l’harmonie ; aussi n’a-t-on jamais pu s’entendre ni sur le nombre des