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Venise, dont Monteverde exprime les tendances. Lui-même se plaisait à dire que, « pour atteindre le but qu’il s’était assigné, le ciel ne pouvait pas le placer dans une ville mieux disposée à comprendre l’esprit de ses compositions. » Il ajoutait que « les nombreux chanteurs et instrumentistes qui étaient au service de la seigneurie lui avaient rendu sa tâche facile par le zèle et l’enthousiasme qu’ils mirent à le seconder. »

Monteverde a beaucoup écrit, et dans tous les genres de musique connus de son temps, il a porté la fécondité, la hardiesse de son génie. Il fut un des premiers compositeurs à s’essayer dans la forme dramatique, inaugurée à Florence dans les dernières années du XVIe siècle par un groupe de dilettanti et d’académiciens qui cherchaient à. restaurer la mélopée des Grecs, cette pierre philosophale de tous les beaux-esprits de la renaissance. Ils furent plus heureux qu’ils ne s’y attendaient, et, au lieu de raviver une forme qui n’a jamais existé, ils trouvèrent une combinaison nouvelle de la fantaisie. Monteverde fît représenter à la cour de Mantoue en 1607 un opéra d’Ariane, puis celui d’Orfeo, qui excitèrent un grand intérêt. En 1608, à l’occasion du mariage de François de Gonzague avec Marguerite de Savoie, il composa la musique d’un ballet delle Ingrate (des sorcières), où l’on remarque des effets de rhythme et d’instrumentation inconnus jusqu’alors ; mais c’est à Venise que l’instinct dramatique de Monteverde eut occasion de se développer sous des formes qui ont lieu de nous surprendre encore aujourd’hui. En 1624, il fit représenter au palais Mocenigo devant les plus grands personnages de la république un épisode de la Jérusalem délivrée, — le combat de Tancrède et de Clorinde, — qui, pour l’expression des sentimens, la gradation des effets, l’intelligence des contrastes et du coloris de l’instrumentation, est un morceau important, et annonce l’éclosion de la musique moderne.

La révolution opérée par Monteverde n’est point un fait isolé, l’évolution d’un art particulier qui n’intéresserait que des amateurs de curiosités historiques : c’est au contraire un des résultats les plus directs du grand mouvement de la renaissance, presque contemporain de la peinture à l’huile, qui fut aussi propagée à Venise par un élève de Van Eyck, — de la perspective linéaire et du clair-obscur, qui permirent à l’art du dessin de rendre le caractère de la passion avec les accidens de costume, de lumière et de paysage qui révèlent son passage dans le monde extérieur. L’invention de la modulation a eu les mêmes conséquences pour l’art musical, en lui apportant le coloris nécessaire pour exprimer les contrastes, la succession ou la simultanéité des sentimens du cœur humain, car la mélodie, quelque développée qu’on la suppose, n’accuse que l’existence d’une émotion intérieure, un état, une disposition de l’âme,