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plusieurs voix et quelques cantates, lorsqu’une circonstance fortuite lui fit aborder un thème plus digne de ses hautes facultés. Parmi les amis intimes de Marcello, il y avait un noble vénitien, Girolamo Giustiniani, qui avait fait d’excellentes études à l’université de Padoue sous la direction particulière de Lazzarini, professeur éminent de littérature grecque. Giustiniani eut un jour l’idée d’essayer ses talens pour la poésie en traduisant en vers italiens les dix premiers psaumes de David, et il vint consulter Marcello sur le mérite de sa tentative. Celui-ci trouva la traduction fidèle et très élégante, et engagea son ami à en poursuivre l’achèvement, à quoi Giustiniani répondit : — Puisque mon essai vous paraît digne d’approbation, vous devriez vous joindre à moi et prêter à mes vers le secours de votre art. Frappé de cette proposition, Marcello, sans répondre d’une manière affirmative, se mit à son clavecin, et en peu de jours il fit la musique des cinq premiers psaumes. Il réunit aussitôt dans son palais quelques personnes éclairées pour leur faire entendre sa nouvelle composition. L’œuvre des dieux patriciens produisit un très grand effet, surtout la musique de Marcello, qui excita un enthousiasme mêlé d’étonnement. Encouragé par le succès, Marcello conçut le projet de mettre successivement en musique les cinquante premiers psaumes de David, qui furent exécutés dans son palais et sous sa direction à mesure qu’il en achevait la composition. Telle est l’origine de cette œuvre admirable[1]. Je me rappelle encore, comme si c’était d’hier, ces belles soirées du palais Marcello, où se réunissait tout ce que Venise avait d’esprits cultivés, d’artistes et de grands seigneurs. Le maître tenait le clavecin, dirigeant de son regard sévère les chanteurs et les instrumentistes de la chapelle de Saint-Marc qui interprétaient ses nobles et touchantes inspirations. Il ne leur passait aucun caprice, exigeant la plus scrupuleuse exactitude dans l’exécution matérielle de sa musique, dont il s’efforçait de leur expliquer la pensée. C’est à l’une de ces soirées mémorables que j’ai entendu pour la première fois la célèbre Faustina Bordoni, à qui Marcello a bien voulu donner quelques conseils dont elle a su profiter. Le peuple, accouru de tous les coins de Venise, se tenait sur les places voisines du palais, écoutant avec recueillement ces grandes et belles compositions. Un soir cependant, après l’exécution de l’admirable chœur que tout le monde connaît aujourd’hui, i cieli immensi narrano, la foule assemblée au pied du palais, et dans les gondoles qui sillonnaient le Grand-Canal, poussa un cri de ravissement qui retentit jusque sur la place Saint-Marc.

  1. Les psaumes de Marcello, publiés chez Dominique Lovisa, forment huit volumes in-folio, dont le premier parut en 1724 et le dernier en 1727. Traduits en anglais, ou en publia une édition à Londres en 1760. Matheson, un savant critique allemand, les traduisit dans sa propre langue et les fit exécuter avec un très grand soin à Hambourg.