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Les psaumes de Marcello se répandirent promptement dans toute l’Europe. L’empereur Charles VI voulut les entendre à sa cour, le cardinal Ottoboni les fit exécuter dans son palais, à Rome, par les chanteurs de la chapelle Sixtine. Composés pour une, deux, trois et quatre voix, avec une simple basse chiffrée et quelquefois avec un accompagnement de violoncelle ou de viole, ces psaumes forment une succession de morceaux très variés, où domine le sentiment dramatique, qui est la qualité caractéristique de l’école vénitienne. Non-seulement Marcello s’est inspiré de la poésie hébraïque, mais il a consulté aussi les vieux chants des synagogues juives de tous les pays du monde, ainsi que quelques rares débris de la musique grecque et du plain-chant grégorien, pour se pénétrer de leurs tonalités diverses et en saisir l’étrangeté. Je ne vous citerai que le second psaume pour alto et basse sur les paroles quare fremuerunt gentes (d’onde cotanto frémito), d’un si grand caractère, et dont le troisième mouvement, rompiamo dicono, exprime avec tant d’énergie la révolte de l’orgueil contre le gouvernement de la Providence ; le huitième, pour voix de contralto et chœur ; — le dixième, à quatre voix, come augel cui mile reti, d’un accent mélodique à la fois si simple et si varié dans le mouvement, surtout la dernière strophe ; — le seizième, pour lequel Marcello s’est inspiré d’un chant grec, l’hymne au soleil, de Dionisius. Les récitatifs, les airs, les duos, les trios et les chœurs qui traduisent les élans lyriques du roi-prophète dans l’œuvre si originale du maître vénitien ne pouvaient être conçus que par un grand esprit, par un compositeur dégagé de tout préjugé scolastique, qui va droit au sentiment qu’il veut exprimer et ne s’inquiète que de l’efficacité des moyens qu’il emploie.

Marcello était d’un caractère non moins élevé que son génie. Pieux sans bigoterie, généreux, il usait de sa fortune et de ces vastes connaissances avec la munificence d’un patricien de Venise. Son palais était toujours ouvert aux artistes, dont il aimait à se voir entouré. Il fut le maître et le protecteur constant de la Faustina, ainsi que de son mari, le fameux Hasse, il Sassone, avec lequel il n’a cessé de correspondre. Il aimait tellement la musique et tout ce qui s’y rattache, qu’un soir d’été, étant accoudé sur le balcon de son palais, qui borde il Canalazzo, il entendit une voix de femme d’un timbre ravissant qui chantait une de ces arie di batello qui, depuis la fondation de Venise, circulent dans nos lagunes. Il envoya chercher cette femme, pauvre et jeune lavandière nommée Rosana Scalfi ; elle lui plut, il la fit élever avec soin, lui donna des conseils dans l’art du chant, et puis il l’épousa secrètement. Cette femme s’est montrée digne de la fortune que le hasard lui avait procurée, en faisant le bonheur du maître illustre dont je viens de vous conter l’histoire.

Après Benedetto Marcello, l’école vénitienne a produit successivement