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se trouve d’accord avec la nature du rôle ; on dirait qu’il a de lui-même une trop haute opinion pour prendre la peine d’articuler toutes les syllabes.

La représentation de Tartufe soulève des objections bien autrement graves que la représentation du Misanthrope. Dans ce dernier ouvrage, en effet, c’est à Célimène que s’adressent presque tous nos reproches. En parlant du premier, nous sommes forcé de blâmer avec une égale sévérité Elmire et Orgon. Le personnage de Tartufe est un de ceux que M. Geffroy comprend le mieux, et s’il pouvait corriger l’âpreté de sa voix, chose plus facile à souhaiter qu’à réaliser, il contenterait je crois, les juges les plus difficiles. Dans la scène de la déclaration, il est évident que son accent n’est pas ce qu’il devrait être : hypocrite ou loyal, un séducteur ne parle pas sur ce ton ; mais je ne veux pas insister sur cette remarque : il n’est pas au pouvoir de M. Geffroy d’assouplir, d’attendrir sa voix. Quant aux personnages d’Elmire et d’Orgon, ils ne sont pas compris, et pour le prouver, il n’est pas besoin de prodiguer les argumens : les lumières du bon sens le plus vulgaire suffisent pour arriver à cette conclusion. Elmire, dans la pensée de Molière, est le type de la femme vertueuse et modeste, vertueuse sans fracas, sans forfanterie, attachée à ses devoirs par conviction plus encore que par obéissance. Pour résister aux entreprises de Tartufe, elle ne songerait jamais à demander le secours de son mari ; elle pense avec raison qu’une épouse fidèle et sensée n’a besoin de personne et se protége elle-même. Sans les révélations de Damis, elle n’imaginerait pas de cacher Orgon, et de l’obliger à entendre de ses oreilles l’aveu d’une passion coupable. Si le caractère d’Elmire n’était pas dessiné aussi nettement, le spectateur serait à bon droit blessé des paroles qu’elle adresse à Tartufe pour l’engager à renouveler sa déclaration. La franchise de son langage, la simplicité de ses manières dans la première moitié de la pièce la mettent à l’abri de tout reproche. L’auditoire excuse sans se faire prier le piége qu’elle tend à l’hypocrite. Mme  Plessy, par son afféterie, a gâté toute la conception de Molière. Son regard, son sourire, l’accent de sa voix, la rendent presque aussi coupable que son interlocuteur. La vertu qui se défend ainsi, qui attise la passion, en se réservant l’honneur d’une facile victoire, est bien près de ressembler au vice. Encourager un amour qu’elle ne partage pas ne sera jamais pour une femme un rôle moral, un rôle d’accord avec la dignité d’épouse et de mère. La coquetterie arrivée à ce point ne mérite pas seulement la colère de l’homme déçu dans son espérance, mais le mépris de tous les honnêtes gens. Je suis obligé de croire que Mme  Plessy n’a pas compris le personnage d’Elmire, car si elle le comprenait, elle lui laisserait sa simplicité, sa franchise, et ne s’exposerait pas aux reproches de son mari. Soyons