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ner un aspect nouveau, une portée nouvelle, par une trop libre interprétation. Plus d’un lecteur trouvera le conseil inutile. À quoi bon inviter les comédiens à ne pas oublier les limites naturelles de leur domaine ? Est-il donc démontré qu’ils les méconnaissent, qu’ils essaient de les franchir ? Pour moi, c’est depuis longtemps un fait acquis à la discussion. Ils s’abusent trop souvent sur l’étendue de leurs droits, et je ne crois pas inopportun d’appeler l’attention sur leur méprise. Pour savoir leur pensée à cet égard, je n’ai pas besoin de leurs aveux. La manière dont ils jouent les comédies de Molière dit assez clairement l’opinion qu’ils ont de leur mérite, l’estime où ils tiennent leurs facultés. Ils traitent l’auteur du Misanthrope sur le pied de l’égalité, et lorsqu’ils ne trouvent pas ses intentions assez nettement exprimées, en bons camarades ils viennent à son secours. Ils se laissent égarer par leur générosité, et malgré la sympathie que m’inspire un tel sentiment, je voudrais les voir quitter cette voie périlleuse. Molière se passera très bien de leurs commentaires ; les découvertes qu’ils s’attribuent resteront stériles, leur sagacité s’épuise en vains efforts : qu’ils se contentent donc du sens naturel, du sens accepté par tous, et renoncent à la tâche téméraire qu’ils se sont donnée.

Ce n’est pas que je veuille réduire les devoirs de leur profession à l’exercice de la mémoire. Je crois avec tous les hommes de bonne foi que pour jouer Arnolphe ou Chrysale, la mémoire la plus excellente ne suffit pas : la méditation n’est pas inutile. Avant de méditer pourtant sur le rôle qui leur est confié, il faut qu’ils en acceptent la donnée. Quand je dis accepter, c’est comme si je disais comprendre ; mais comme il s’agit de ramener les comédiens à la modestie, la première expression me semble mériter la préférence. Il y a dans leur langage un terme qui explique très bien leurs prétentions, et qu’il serait bon de définir. Quand ils ont appris par cœur les vers qu’ils doivent réciter, ils s’occupent de la composition du personnage. Or ce terme ne présente qu’un sens légitime. S’il ne signifie pas l’art de mettre en harmonie toutes les parties d’un rôle, il ne mérite aucune attention. S’il exprime la faculté de greffer sa pensée personnelle sur la pensée de l’auteur, il doit être banni à tout jamais. J’ai lieu de croire que les comédiens ne définissent pas la composition comme je viens de le faire. S’ils ne l’avouent pas, ils se conduisent du moins de façon à justifier le reproche que je leur adresse. Ils attachent en général plus d’importance aux effets de détail qu’aux effets d’ensemble. S’ils composaient leurs rôles dans l’acception vraie du mot, nous ne les verrions pas recourir à tous les artifices de diction enseignés au Conservatoire. Ils ne précipiteraient pas leur débit dans le premier hémistiche pour le ralentir dans le second. Ils ont beau parler de composition, ils émiettent la