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l’importance du XVIIIe siècle, il ne convient pas d’omettre, même dans un fronton, les siècles qui l’ont précédé. La France ne commence pas avec l’Encyclopédie, avec la constituante. Je m’explique sans peine la préoccupation de David. La date de son œuvre nous dit assez clairement quelle était sa pensée. La branche aînée des Bourbons venait de tomber après une lutte obstinée soutenue pendant quinze ans contre l’esprit nouveau, contre les principes de 89. Il faut donc voir dans le fronton du Panthéon une protestation de l’esprit nouveau contre la résurrection du passé. Reste à savoir si la sculpture peut sans danger pour elle-même s’attribuer un rôle politique. Pour ma part, je ne le crois pas, car une pensée de cette nature gravée dans la pierre, comprise sans effort des contemporains, devient facilement obscure pour les générations suivantes. Les partis disparaissent, la sculpture demeure, et le fronton a besoin de commentaires. Il est plus sage de laisser à la parole le soin de démontrer que le passé ne peut revivre. A chacun sa tâche, à chacun son rôle. Aux orateurs, aux écrivains la défense de l’esprit nouveau; aux statuaires, la représentation des grands hommes qui ont servi la patrie de leur plume ou de leur épée, des magistrats intègres, des savans dévoués, des hommes d’état pénétrés de leurs devoirs, sans acception d’époque, sans préoccupation de parti. La pierre, qui résiste aux morsures du temps et transmet aux générations futures l’expression de la reconnaissance publique, doit parler autrement que l’orateur; David ne s’en est pas souvenu, peut-être même l’a-t-il toujours ignoré. En limitant le choix de ses personnages au XVIIIe siècle, il obéissait fidèlement à la pensée qui avait pris possession de son esprit pendant son séjour à Rome. Il avait rêvé pour son art un rôle populaire, un rôle politique; il défendait à sa manière les principes de 89, parce que ces principes ralliaient toutes les espérances, tous les vœux de la génération nouvelle. Je crois sincèrement qu’il s’est trompé, mais sa méprise est facile à expliquer pour nous, qui ne sommes séparés de la composition de son œuvre que par un espace de vingt ans.

Le reproche une fois admis, et je ne pense pas qu’on puisse le réfuter, on se demande comment David aurait exprimé la reconnaissance du pays pour tous les grands hommes qui l’ont honoré. La question posée dans ces termes serait insoluble : aussi n’essaierai-je pas de la discuter. Si l’on veut prendre la peine de l’envisager sérieusement et d’en pénétrer le sens général, on la voit bientôt se simplifier. Qu’on s’élève au-dessus des préoccupations de parti, et l’équité devient facile. Charlemagne et saint Louis, qui n’avaient pas deviné les principes de 89, ont pourtant fait beaucoup pour la France. Richelieu et Colbert ont des droits à la reconnaissance du