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appartient à l’ancienne France, c’est Fénelon. Quoique j’admire sincèrement les idées libérales répandues dans le Télémaque, malgré ma sympathie pour le gouvernement de Salente, qui passe à bon droit pour une critique du gouvernement de Louis XIV, j’ai peine, je l’avoue, à m’expliquer la présence de Fénelon. Bien d’autres avant lui ont aimé, ont défendu la liberté. S’il mérite de figurer parmi les précurseurs de la constituante, il n’est point seul à mériter cet honneur. A part cette singularité, toutes réserves faites en faveur de l’équité historique, on peut, on doit louer le côté plastique du fronton. La figure de la France distribuant des couronnes à ses plus glorieux enfans est grande et belle. La tête pleine de sérénité, la bouche largement modelée, le regard majestueux et bienveillant, font de ce personnage, qui domine la composition tout entière, une des œuvres les plus imposantes et les plus vraies de la sculpture moderne. On peut citer les bras de la France comme des morceaux à l’abri de tout reproche. La division adoptée par David me paraît ingénieuse et sensée : à droite, les hommes d’action, les guerriers; à gauche, les hommes de science, les philosophes, les magistrats. Rousseau et Voltaire sont finement caractérisés; Malesherbes, j’en conviens, plairait davantage, si l’auteur ne se fût avisé de le coiffer d’un bonnet carré. On aura beau me dire que cette coiffure est le signe distinctif de la magistrature, je ne me rendrai pas à cet argument. Ce qui demeure évident pour moi, c’est que le bonnet carré de Malesherbes produit une impression désagréable, et qu’il eût mieux valu le représenter tête nue. Monge, Laplace, Condorcet, Cuvier, ne sont pas traités avec moins d’habileté que Rousseau et Voltaire. Toutes ces physionomies sont empreintes d’un caractère individuel, et l’on voit que l’auteur n’a rien abandonné au caprice. Il a recueilli pour chaque figure de nombreux documens et les a mis en œuvre avec une fidélité scrupuleuse. Ceux qui ont pu contempler de près toutes ces têtes, d’une exécution si savante, quand l’échafaudage n’était pas encore enlevé, savent avec quelle sagacité l’auteur a sacrifié, je veux dire simplifié, tout ce qui ne devait pas être aperçu d’en bas. Il avait franchement accepté les conditions de la sculpture monumentale. Aussi tout ce qu’il a voulu montrer s’aperçoit sans peine, malgré l’espace considérable qui sépare le fronton de l’œil du spectateur. Le général Bonaparte, Desaix, Hoche, Marceau, étudiés avec le même soin que les figures de gauche, rendus avec le même bonheur, prouvent que David attachait la plus haute importance à la perfection plastique de cet immense ouvrage. Après avoir semé son nom dans toutes les grandes villes de France, il s’agissait pour lui de le graver en caractères ineffaçables au fronton du Panthéon. Cette glorieuse ambition n’a pas été déçue :