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colère des sujets, nommée aussi la colère des pouvoirs de l’état. Ces pouvoirs de l’état, quand ils s’irritent, quand ils se sentent opprimés ou exposés à la tyrannie, font mourir le roi ; ils le tuent comme la foudre. Suit-il de là que le législateur, après avoir déifié la royauté, veuille glorifier l’insurrection et conseiller aux peuples la révolte ? Non pas précisément : il laisse entendre aux rois que la caste des brahmanes veille au maintien de la justice et à l’observation des lois, et qu’elle peut, quand il lui plaît, déchaîner contre eux la fureur populaire. Et dans ce cas le prince régnant n’est pas seul précipité du trône ; il ne meurt pas seul, sa déchéance et sa mort entraînent parfois la ruine et la destruction de toute sa race[1]. Cette théorie ne serait qu’une vaine menace si jamais elle n’avait été appliquée, mais les brahmanes l’ont maintes fois mise en pratique, et ils ont consigné ces preuves éclatantes de leur pouvoir sur les guerriers dans des légendes curieuses que la lutte des deux castes nous offrira l’occasion d’étudier.

Tout absolue qu’elle paraisse être au premier aperçu, la royauté, chez les Hindous, se trouve, on le voit, singulièrement tempérée par la loi brahmanique. Le prince qui nous a été montré d’abord comme une émanation des huit dieux gardiens de l’univers, comme un soleil radieux à l’éclat incomparable, se réduit peu à peu aux proportions d’un simple mortel exposé à la colère de ceux qu’il gouverne. Un conseil, composé en grande partie de brahmanes, siège à ses côtés, et le dirige en toute occasion. Entouré de séductions, le souverain devra s’appliquer à dompter ses passions, à réprimer les désirs des sens. Chargé de toutes les affaires de son royaume, il sera tenu de connaître tout ce qui se rapporte au commerce, aux arts, aux travaux de l’agriculture. L’emploi de sa journée a été réglé par la loi d’une façon rigoureuse ; il se lèvera matin, saluera les brahmanes dès le point du jour, travaillera avec son conseil, recevra les plaintes de ses sujets, inspectera les troupes, mangera modérément, et ne s’oubliera pas pendant de longues heures dans l’appartement de ses femmes. Il sera à la fois l’homme le plus instruit, le plus pieux de son royaume, le mieux réglé dans les détails de sa vie. Voilà pour les affaires du dedans ; mais dans celles du dehors, sa conscience prendra une singulière élasticité. Par ses ambassadeurs, il entretiendra avec les puissances voisines des relations suivies ; par ses espions, il saura ce qui se passe dans les cours étrangères, et essaiera par tous les moyens possibles d’y semer la division. Le roi, qui doit avoir toutes les vertus, ne négligera rien pour séduire les ministres

  1. Voyez la stance 3 du livre viie : « Le monarque insensé qui opprime ses sujets par une conduite inique est bientôt privé de la royauté et de la vie, ainsi que tous ses parens. »