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génie mais singularité. Homère, Thucydide et Platon qui représentent les trois formes de la pensée chez la nation la plus ingénieuse dont l’histoire ait gardé le souvenir, trouvent un écho dans toutes les intelligences. Malgré leur génie, dont ils ont conscience, ils ne s’attribuent pas le droit de changer ou de méconnaître les conditions de la poésie, de la narration historique, de la démonstration philosophique. Supérieurs à la foule qui les entoure, ils savent que pour être écoutés, ils doivent s’adresser aux sentimens, aux espérances aux regrets, dont se compose la vie intellectuelle et morale de l’humanité. Les privilèges du génie qu’on revendique aujourd’hui pour imposer silence à la critique, seraient, certainement répudiés par Homère, Thucydide et Platon ; l’Iliade, la Guerre du Péloponèse, le Phédon, admirables dans leur simplicité, dans leur grandeur, n’ont rien de singulier, rien qui étonne rien, qui viole les conditions élémentaires de la poésie, de l’histoire de la philosophie. Si la critique est accusée de témérité pour avoir consulté trop souvent ces éloquens modèles, elle se consolera facilement, et ne perdra pas son temps à réfuter un tel reproche. La société de tels interlocuteurs suffit à effacer le souvenir des plus » amères invectives ; En les écoutant, on oublie sans peine les plus terribles railleries.

Les moralistes ont dit avec raison que tout droit suppose un de voir, et réciproquement. Après avoir établi les droits de la critique il faut donc établir ses devoirs Sans le secours de cette seconde démonstration ; elle ne posséderait qu’une autorité incomplète. Cette dernière partie de ma tâche est plus facile que la première. Si les parties intéressées n’acceptent pas sans résistance les droits que la critique s’attribue, en revanche elles ne contestent pas la rigueur des devoirs qui lui sont imposés Sincérité, clairvoyance, désintéressement, voilà trois points admis par tout le monde. Tant qu’on demeure dans la région des idées générales, dans le domaine de la théorie pure, il n’y a pas de querelle à redouter. Une critique sincère, clairvoyante désintéressées, ne peut, ne doit blesser personne. La sincérité, qui n’est pas sans danger, car toute vérité n’est pas bonne à dire, sera tempérée par la clairvoyance. Et comme le plus grand nombre des écrivains s’attribue un mérite supérieur, pour eux la clairvoyance équivaut à l’éloge. Comprendre et louer » sans réserve sont une seule et même chose. Quant au désintéressement, personne ne voudrait, personne n’oserait le condamner.

Comment ces droits et ces devoirs, sont-ils compris aujourd’hui ? La discussion littéraire a perdu presque toutes ses franchises. Aussi ne faut-il pas s’étonner que son autorité s’affaiblisse. Pour éclairer le public sur les causes de cette déchéance, il nous semble utile de passer en revue les divers groupes, dont se compose la critique de