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SIR ROBERT PEEL.

particulières. » Si ce n’eût été là qu’un argument philosophique, Wellington et Peel en auraient été probablement peu touchés ; mais l’argument exprimait un fait puissant, ancien, légal, national, et ils hésitaient à y porter atteinte. Ils hésitaient d’autant plus que jusque-là ils avaient eux-mêmes, au nom du droit et de la sûreté de l’état, défendu et maintenu ce grand fait. Rude tâche que d’avoir à se désavouer soi-même pour changer la constitution de son pays ! Dès que la discussion s’engagea, l’ironie insultante contre les personnes se mêla à la lutte des principes : lord Eldon avait présenté à la chambre des lords une pétition des tailleurs de Glasgow contre l’émancipation. — Qu’ont à faire en ceci les tailleurs ? demanda lord King. — Rien de plus simple, reprit lord Eldon : vous ne pouvez pas prétendre que les tailleurs aiment les gens qui retournent leur habit !

Avant d’adopter ouvertement cette grande et amère détermination, les ministres prirent deux mesures qui semblaient l’ajourner encore, mais qui, au fond, la préparaient : ils proposèrent un bill pour relever les dissidens protestans des incapacités politiques que faisait peser sur eux l’exigence d’un serment contraire à leur foi, et ils saisirent avec empressement une occasion d’écarter du cabinet les quatre amis de Canning qui y siégeaient encore, M. Huskisson, lord Palmerston, lord Dudley Stuart et M. Charles Grant, pour les remplacer par d’anciens tories. Ils se montraient ainsi préoccupés du désir de rallier tous les protestans et de rétablir dans le gouvernement l’unité de principes et de desseins. Le bill favorable aux dissidens passa, dans les deux chambres, à une forte majorité ; mais l’opposition ne se méprit point sur sa portée : « Plus tôt ou plus tard, dit lord Eldon, peut-être cette année même, certainement l’an prochain, la concession aux dissidens sera suivie des mêmes concessions aux catholiques. Cela est inévitable, quoique en ce moment la politique convenue soit de s’en défendre. » Quand le cabinet fut tout entier tory, quand le vice-roi d’Irlande, lord Anglesey, qui s’était prononcé avec éclat en faveur des catholiques, eut été rappelé et remplacé par le duc de Northumberland, tory décidé, quand le duc de Wellington et M. Peel se crurent en mesure d’affirmer que l’émancipation des catholiques n’était pas une concession arrachée par l’opposition aux dissensions intérieures et à la faiblesse du pouvoir, mais un acte nécessaire, commandé par la paix publique, ils se résolurent à la proposer au parlement.

Ce ne fut pas sans peine qu’ils obtinrent l’assentiment du roi : non que George IV fût, comme son père George III, un prince sérieux et consciencieux, résistant avec conviction et par devoir ; mais c’était une tradition, à la fois royale et populaire, que la sûreté de sa maison