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III

Les premières impressions qu’éveilla dans l’âme des captives l’aspect de Dargui-Védeno furent des plus tristes. On s’empressait autour d’elles, mais il était visible qu’une longue captivité les attendait. La princesse Anne avait été introduite dans une grande cour où la princesse Baratof vint bientôt la rejoindre. Cette cour était remplie de femmes. Un seul homme, revêtu d’un costume blanc et d’une haute stature, observait l’arrivée des prisonniers du haut d’un balcon : c’était Chamyl. La nuit était déjà profonde, et l’on ne pouvait distinguer ses traits. Une seconde porte s’ouvrit, et les captives se trouvèrent dans une autre cour entourée de bâtimens devant lesquels régnait une galerie couverte qui s’élevait à quelques pieds du sol. Plusieurs portes s’ouvraient sur cette galerie. On amena les princesses Anne et Baratof devant une de ces portes, et les femmes qui s’agitaient autour d’elles les aidèrent à descendre de leurs chevaux. On les fit entrer dans une chambre, et quelques-unes de leurs nouvelles compagnes se mirent en devoir de les déshabiller. Pendant qu’on leur donnait ces soins, la princesse Varvara fut amenée aussi dans la chambre et entourée des mêmes attentions. Les captives étaient dans le sérail de Chamyl, et les épouses du prophète ne tardèrent pas à leur rendre visite.

Une fille de Chamyl, âgée de treize ans, se montra d’abord[1]. Elle avait une figure intéressante, et les femmes de service lui témoignaient beaucoup d’égards. Puis entrèrent deux des femmes de Chamyl, l’une nommée Zaïdète, âgée de vingt-quatre ans au plus, maigre, grêlée, et dont la figure n’avait rien d’attrayant. Elle avait l’œil noir, le nez long et recourbé, les lèvres minces et pincées ; mais une sorte de grâce particulière aux femmes tatares rachetait ces imperfections matérielles. Zaïdète était fille d’un des conseillers les plus influens de Chamyl, appelé, comme son fils, Djemmal-Eddin. La seconde des femmes de l’iman était dans un état de grossesse assez avancé. Elle se nommait Chouanète. C’était une Arménienne enlevée par les montagnards en 1840 de la ville de Mosdok, située sur les bords du Térek, et qui paraissait alors âgée de trente ans environ. Elle était grande, un peu forte, mais jolie, blanche, et d’une remarquable fraîcheur. Ses traits avaient une expression de douceur qui charma tout d’abord les prisonnières. La princesse lui demanda des nouvelles de ses enfans et de ses compagnes. Chouanète répondit

  1. Le chef montagnard a plusieurs filles de différentes femmes et trois fils d’une de ses femmes morte depuis peu, — Djemmal-Eddin, alors prisonnier des Russes, Kazi-Machmet, que nous connaissons déjà, et un plus jeune fils, nommé également Machmet.