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l’énorme proportion de 1,40 à 14,22, ou, en d’autres termes, de décupler l’essor des Portugais vers le bien-être. Ce mode d’évaluation reste même au-dessous de la vérité, si l’on tient compte d’un fait tout spécial au pays, et qui, contrairement à la règle, a tout à la fois pour résultat de ralentir le progrès de la population et d’activer celui de l’aisance. Je veux parler du développement croissant qu’a pris depuis vingt ans l’émigration temporaire au Brésil des Portugais des classes inférieure et moyenne, qu’attire dans l’ancienne colonie, non le besoin de vivre, mais la perspective presque assurée d’y faire fortune, grâce à la supériorité que leur donnent leur activité d’Européens sur les créoles et la communauté de langue et d’origine sur les autres Européens[1]. De même qu’elle avait jadis son moine, chaque famille a aujourd’hui son brésilien, qui revient, au bout de quelques années, placer et dépenser sa fortune en Portugal.

Peu importe à l’individu, dirait-on, que la masse du bien-être général augmente si le nombre des co-partageans s’accroît dans la même proportion. C’est vrai ; mais si rapide que soit en Portugal le progrès de la population, celui du bien-être individuel garde encore l’avance. Un calcul trop long pour trouver place ici fournirait[2] par exemple la preuve que les nouvelles conditions économiques ont diminué les chances moyennes de célibat et accru les chances de mariage d’environ 24 pour 100. Voici un chiffre non moins significatif.

La presque totalité des individus qui, en 1850, se trouvaient en âge de former des établissemens distincts étaient évidemment nés sous l’ancien régime, et cette catégorie ne participait dès lors que peu ou point à l’impulsion exceptionnelle donnée par le nouveau régime à la population. Dans des conditions économiques stationnantes, c’est-à-dire dans une situation où le rapport des individus qui possèdent à ceux qui ne possèdent pas n’aurait pas varié, la proportion d’accroissement du nombre de feux de 1828 à 1850 ne dépasserait donc que de très peu celle de la période 1798-1820. Or la nouvelle proportion est presque sextuple de l’ancienne (14,4 pour 100 contre 2,5 pour 100). C’est une progression bien autrement rapide que celle des mariages, — d’où il suit qu’indépendamment

  1. Les détaillans portugais sont à peu près les seuls intermédiaires entre les manufactures anglaises et la consommation brésilienne.
  2. En voici les élémens. À la fin de la première des deux périodes que nous avons mises en regard, la proportion annuelle des mariages était de 1 sur 166 habitans, et, à la fin de la seconde période, de 1 sur 144 ; — mais le mouvement des naissances ayant été dix fois plus rapide dans la seconde que dans la première, la proportion des individus non nubiles aux nubiles se trouvait accidentellement fort exagérée en 1850, et toutes défalcations faites, le nouveau rapport comparatif se trouve ramené à 1 mariage sur 128 habitans au plus.